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Ruptures de relation et résistance

Rupture, quel mot douloureux, intransigeant ! Il incarne la prémisse d’un changement d’état forcé. Avec la pandémie, nous expérimentons la cassure et nous apposons des plâtres sur les fragments de nos vies. Les autorités nous conseillent, puis recommandent, puis nous supplient, puis ordonnent. Surviennent les ruptures personnelles, communautaires, mondiales et, plus tard, l’adaptation et le témoignage.


« Ruptures » est le terme que le logiciel Antidote s’est choisi pour désigner la fonction qui signale par un intervalle orangé pointillé les failles syntaxiques d’un texte. Je ne peux m’empêcher de m’en effrayer en raison de la gravité du sens. Comme je l’ai mentionné auparavant, je soumets mes textes à ce logiciel. Il me sert de béquille (de manière plus positive, la compagnie le décrit comme une aide à la rédaction) dans la production d’écrits acceptables. Pas un jour ne m’est épargné où je déplore l’apparition du pointillage humiliant…


En survol du segment relevé, un encadré apparaît : « Dans l’intervalle souligné se trouve peut-être un problème qui empêche l’analyse complète de cette phrase. Voyez s’il manque un mot ou si une virgule est mal placée ».


Mais souvent, la vérification consciencieuse n’apporte pas la réponse escomptée. Mystère. De quoi parle-t-on ? D’une interruption brusque, d’une fin sans harmonie, d’une menace imminente de dislocation ? Quel est le mécanisme qui sous-tend la semonce ?


Je n’ai pas été surprise de lire sur des forums d’aspirant.e.s écrivain.e.s des aveux d’impuissance; beaucoup ne savent pas comment interpréter ce message sibyllin, parce qu’incomplet. Certain.e.s acceptent de s’interroger pour un document court, mais baissent les bras dans un truc très élaboré.


En fait, cet avertissement informe qu’un problème syntaxique a été détecté, que la source n’a pas été identifiée et qu’aucune suggestion de correction ne peut être effectuée. Le guide de l’utilisateur représente notre seule bouée de sauvetage. Sauf que, si vous débordez de créativité et que votre distraction sème l’émoi autour de vous, ce type d’outil n’exerce sur vous aucune attraction et vous n’avez certes pas exploré celui qui vous est fourni. Vous conviendrez avec moi que ça demande de la détermination et de la vaillance pour naviguer dans ces contenus pauvres en émotions.


En panne de thème pour ce billet de février, je me suis attelée à la tâche d’y puiser la lumière. Avec un peu de concentration, j’ai déniché le trésor qui se cache derrière le graphique de relations affiché au haut de l’écran, à droite de l’icône évoquant une clé.

En cliquant sur ce schéma de couleur verte, se déploie une dissection grammaticale soignée de la section jugée boiteuse. Attention, ça se corse !


Voici un exemple, tiré d’une phrase que je lui ai donné à digérer :

« Pas grave ma belle, m’a-t-il rassuré. »


Pas adv. nég. «pas», modifie l’adjectif grave

grave adj. «grave» au masc./fém. sing, constitue un des éléments du segment analysé

ma dét. «mon» au fém. sing., détermine le nom belle

belle n. «beau» au fém. sing., noyau du groupe nominal

, virg. «,», ponctue le texte

m’ pron. pers. «me» au masc./fém. sing. (élidé), complément d’objet indirect de a rassuré

a-t auxiliaire «avoir», ind. prés., 3e sing . (euphonique), auxiliaire du participe passé de rassurer, servant à former le passé composé

-il pron. pers. «il» au masc. sing., sujet de a rassuré; apparemment mis pour lui

rassuré v. «rassurer», part . passé, masc. sing., noyau de la proposition


Malgré une étude attentive du résultat, je n’ai pas progressé. En premier lieu, je soupçonne Antidote d’incompétence quant aux dialogues reproduisant le langage parlé. En deuxième lieu, le rappel des règles n’équivaut pas nécessairement à une explication claire.


Points forts


En épluchant Internet, j’ai découvert ce que débusque la fonction « Ruptures » :

  • un ou des mots absents ou en trop;

  • ponctuation mal placée, manquante ou inutile, en général la virgule;

  • graphie différente de la catégorie grammaticale attendue (ex. la conjonction « mais » versus le verbe « mettre » [mets, met]);

  • confusion causée par l’existence d’homonymes (prononciation identique, mais sens distinct);

  • oubli d’une préposition avant le complément d’objet indirect;

  • terminaison impropre (verbe à l’infinitif et participe passé).

Bémols


En ce qui a trait aux mots manquants ou répétés ainsi qu’aux noms communs transformés en adjectifs, on saisit assez vite que les figures de style (ellipse, itération, etc.) et la poésie y sont malmenées.


Quant à la ponctuation, bien que nombre de puristes en appliquent les critères avec sévérité, elle aurait terni l’œuvre de Gabriel García Márquez !


Enfin, l’omission de prépositions ou de pronoms lui échappe parfois. Or, elle advient quand l’inspiration nous pousse à écrire selon un rythme soutenu. À la relecture, ces étourderies ne sautent pas aux yeux. Comme l’exprimait si bien une amie, « le cerveau comble le vide ». Ainsi, elle a remarqué l’oubli d’un pronom démonstratif sur la page de présentation de mon blogue, que j’avais pourtant révisée maintes et maintes fois ! Et cette innocente bavure s’est faufilée entre les mailles du filet d’Antidote…


Quelques lacunes supplémentaires : le logiciel ne montre aucune perspicacité quand il s’attaque aux phrases longues qui comportent des précisions introduites à l’aide de parenthèses, de guillemets et de crochets. De même avec l’accord des verbes avec des sujets inversés, ou encore avec le traitement des participes présents. Un établissement d’enseignement adresse même une sérieuse mise en garde à ses étudiants.


J’ai exécuté un tour de moulinet sur la version originale de ce billet pour évaluer ma nouvelle compréhension de la chose. Je suis partie d’un grand fou rire lorsque j’ai pris connaissance de la première rupture, soit le libellé même de l’encadré qui figure en survol des difficultés d’analyse repérées ! Pour le reste, on s’en douterait, il n’apprécie pas l’inclusion du féminin par l’insertion de points (écrivain.e.s). Et le clou de l’expérience : il ne comprend pas l’expression « complément d’objet indirect ».


Toutefois, je ne jette pas le bébé avec l’eau du bain. Je m’impose de réfléchir à l’intelligibilité et à la lisibilité de mes énoncés, une opération rarement stérile.


Dans un autre ordre d’idée, j’ai le goût de partager avec vous mon enthousiasme pour l’atelier d’écriture que j’anime depuis l’automne (inscription sans frais sur la page atelier.). Non seulement j’ai obtenu cinq inscriptions à la dernière séance, mais l’enrichissement mutuel des participants, la qualité des créations et le dynamisme naturel des rencontres m’ont confortée dans la poursuite de cette activité qui, au fond, nous guérit de certaines ruptures secrètes. Une sixième personne se joindra bientôt, c’est plus que je n’osais espérer. Pourvu qu’aucune panne d’intérêt ou de courant ne vienne rompre la tendance!


Ce mois-ci, je collabore au projet Poésie à portée des yeux mis sur pied par la collègue d’une amie, Louise Dessertine. Il s’agit d’afficher en évidence un court poème et une image à la porte, une fenêtre, ou un autre endroit accessible aux voisins. Cette magnifique initiative mérite une large diffusion. Je crois avec ferveur à la littérature gratuite, écrite et lue par tous, sans élitisme. Je vous dévoile ma contribution :


Acte de résistance


S’opposer

Fermer la porte à l’imposture,

Mais l’ouvrir pour un sourire


Se rebeller

Brandir avec courage les drapeaux de peines et de deuils,

Porter haut les fatigues extrêmes des aimés


Contester

Rompre les rangs, refuser les frontières

Battre la cadence des cœurs déraisonnables

Avec l’amour, notre tambour de résonance


Combattre

Nos armes sont les arbres, les fleurs et les bains d’oiseaux

Le bourdonnement des abeilles et le chant des grenouilles

Vaincre,

Quoi qu’il en coûte, l’indifférence

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