Rêver pour ne pas s'endormir
- Michele Lesage

- 8 mai
- 5 min de lecture
Rêver, la meilleure voie pour soigner l’esprit, mais aussi pour avancer sans trébucher, sans se détourner de ses valeurs.
Cette semaine, j’ai nourri ma déchiqueteuse d’une analyse en numérologie que j’avais commandée au siècle dernier. Il fut un temps où j’utilisais les prières, l’astrologie et les voyantes pour renflouer ma réserve d’espoir quand mon univers se retournait sens dessus dessous.

Cette époque est révolue. Pourtant, toutes sortes de motifs d’anxiété justifieraient que je m’adresse encore à ces moyens pour me rassurer : une nouvelle étape dans ma vie, des soucis provenant de mes relations familiales et sociales, les attaques de panique mondiales qui m’atteignent jusque dans ma maison.
L’expérience m’a enseigné que rien ne se prédit ni ne se produit grâce à la manipulation créative des chiffres, l’interprétation ésotérique des mouvements du ciel ou l’intervention d’entités invisibles, sinon par coïncidence. Des moments de retrouvailles avec soi, des projets, du travail gratifiant, des opportunités de développer ses qualités, de la chance, mais surtout du rêve : ces six éléments offrent la meilleure voie pour soigner l’esprit, mais aussi pour avancer sans trébucher, sans se détourner de ses valeurs. Pas toujours la voie que je suis, mais quand même la meilleure.
Les six clés en pratique
J’ai lu qu’un blogue constitue un outil de marketing efficace. Eh bien, le mien ne l'est pas du tout. Pour mettre un peu de baume sur les rapports de vente si décevants de ma boutique, pour ne pas sombrer dans la frustration parce que je ne parviens pas à concevoir des contenus .epub sans la mention « en » pour english qui se glisse dans mes fichiers, pour oublier que l’inspiration a dormi sous la glace des deux derniers hivers, je m’occupe.
Ayant touché l’âge des loisirs, j’ai opté pour le chant choral comme beaucoup de mes connaissances. Introduite à cet art par quatre amies, je m’y adonne même seule. J’évolue loin de toute velléité de performance. Chanter par pur plaisir, sans représentation devant public, pour la détente. Une manière de me recentrer, si quelqu’un comprend ce que ça peut signifier. Cette approche m’a récompensée. Au cours d’une séance de groupe, j’ai appris la chanson Sensation, un poème de Rimbault écrit en 1870, des mots d’une grande beauté :
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue,
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, heureux comme avec une femme.
Ce trésor de la littérature a ressuscité un souvenir, les rimes d’Un air d’été sur une mélodie de Pierre Bertrand, sorti en 1983. Je travaillais alors pour un professeur qui serait plus tard nommé juge à la Cour d’appel. J’ai goûté à sa rigueur et je peinais à me hisser jusqu’aux standards élevés de ses attentes. Cette chanson (les mots sont de la mère de Pierre Bertrand) me faisait un bien fou. De juin à septembre en direction de l’université, je l’ai chantée à tue-tête en chevauchant mon scooter le long du Boulevard Saint-Cyrille.
Un air d’été
Abandonné ma cage
Attiré par la plage
J’ai roulé jusqu’ici
Sous un ciel sans nuage
J’ai le cœur en voyage
J’ai envie de ma vie
Je ressassais des idées sombres
Du côté du mur à l’ombre
Tout a changé et plus rien n’est pareil
J’ai sauté du côté du soleil
[..]
Depuis je n’parle plus je chante
Je ne marche plus je danse
Tout a changé et plus rien n’est pareil
J’ai sauté du côté du soleil
Un air d’été tout léger, tout léger, tout léger
Comme une fleur en plein cœur de l’hiver
M’a rendu cette envie de valser
Un air d’été tout léger, tout léger, tout léger
Comme une bouteille retrouvée dans la mer
M’a rendu le courage d’aimer
Prière de ne pas déranger
Je suis en vacances
Le chant et la musique consolent, soulagent, réparent des blessures de la route. Depuis de nombreuses décennies, je m’implique dans des organisations qui prennent soin de gens rejetés ou marginalisés par la société. Mon histoire personnelle sous-tend cet engagement. Le rejet a la dent dure, mais ouvre sur l’empathie. Ces jours-ci, la déchiqueteuse a pareillement englouti les lettres de refus reçues des maisons d’édition. En ferai-je autant de ce type de correspondance classé dans mes dossiers de courriel ? Ça viendra.
Je m’adonne également à la lecture, une amie fidèle qui me distrait de mes noirceurs. Certaines phrases me procurent un intense plaisir.
« Quand on est marié, on s’habitue avec les années à son compagnon dont la présence devient aussi naturelle que l’air qu’on respire. Ce serait pénible si on aimait, détestait, désirait en permanence sa moitié, si on le percevait en permanence. Voilà pourquoi les époux deviennent peu à peu transparents aux yeux l’un de l’autre. C’est plus commode. »
« S’endormir facilement et mourir facilement sont peut-être les deux choses les plus difficiles dans la vie. »
Murata, Kiyoko. Le couvreur et les rêves. Actes sud, Tokyo, 2014, p. 89 et 90
Ce roman de l’autrice japonaise m’en rappelle un autre, publié récemment par Lyne Gareau : L’école des sables, aux Éditions du blé. Avec poésie, elle s’attarde au rôle des rêves, à la façon d’en prendre le contrôle et de rêver à deux. Il fallait pas mal de talent de leur part, moi qui s’agace de l’incursion des rêves dans les œuvres de fiction. Depuis peu, je me réveille avec la mémoire de mes songes, ce qui ne m’arrivait plus. Et les élucubrations nocturnes entraînent un élan croissant de créativité .
Rêver enfin
Un peu comme les travaux d’aiguille que je délaisse et poursuis à temps décousu, je rédige des poèmes. Je ne sais pas où je vais, mais je ne lâche pas.
Quand j’aurai…
Je pourrai écrire quand j’aurai fini toutes mes tâches
quand je ne devrai plus rien à personne.
Je demande encore la permission
de la paresse de lire et d’écrire.
On m’attend toujours
car, à force, j’ai créé l’attente
et ne peut plus m’en défaire.
Tandis que je me rends utile,
les arbres se parent de fantaisie,
leurs pompons blancs
s’agitent dans le vent.
Légèreté lumineuse
du ciel qui se couche
sur mes obligations imaginaires.
La beauté de la montagne
Malgré tes manques
ton absence creuse
un sillon profond.
Comme avec toi et sans toi
ma présence incomplète
insuffisante.
L’avenir ne me sauvera pas.
Le piano s’est tu,
vacarme de mes lâchetés,
chaos de mon écriture.
Me dissoudre dans tes larmes
faute de pouvoir les sécher.
La beauté n’existe pas sans l’horreur,
je l’ai appris trop tard.
J’ai gravi la montagne si belle,
Au sommet, un cratère
et le feu de l’enfer.




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