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X raisons pour divorcer

Photo du rédacteur: Michele LesageMichele Lesage

Les réseaux sociaux, une banale histoire d’amour avec un coup de foudre, des papillons dans l’estomac, la routine qui masque les insatisfactions, les mensonges de plus en plus fréquents, la tromperie, les abus et la rupture inévitable, le divorce.


Deux mains qui se touchent
Relation amoureuse

Il y a de cela dix-sept ans, j’ouvrais mon premier compte sur un réseau social. Comme un insecte lourdaud attiré par une lumière nocturne, je me suis approchée sans en connaître la source. Je savais seulement qu’il s’y rassemblait une foule croissante. Dans ma conception toute fraîche et naïve, je me représentais les salles d’autrefois occupées par des dizaines d’opératrices qui actionnaient leur standard téléphonique manuel, introduisant dans un panneau muni de colonnes de boutons, de lampes et de câbles une fiche désignée et connectée à la ligne de l’abonné. Grâce à ce nouvel opérateur virtuel, je pouvais espérer renouer des liens avec ma famille dispersée aux quatre coins cardinaux, avec des amitiés délaissées sans raison évidente au cours des déménagements et des emplois successifs.


Comme en amour, les premières années m’ont remplie de satisfaction. Je pouvais communiquer partout dans le monde et obtenir des réponses rapides. J’ai repris contact avec des gens que j’avais perdus de vue depuis longtemps. J’ai reçu des photos, des nouvelles. J’ai participé à des retrouvailles émouvantes. Les rapports se sont resserrés pour mon plus grand bonheur.


Le déclin du sentiment amoureux


Puis, mon environnement a été envahi par des clichés de repas, de célébrations, d’exploits, par des autoportraits et des mises en scène. J’ai accepté, d’abord avec bienveillance, ce besoin qui se répandait de décrocher pour soi une aura de popularité. Malgré mon agacement, j’ai aussi laissé filer mes données à l’étranger alors que les lois de mon pays m’auraient offert une protection supérieure. Ce n’était pas faute de savoir, en plus, qu’elles enrichissaient des entreprises qui m’excluaient de leurs profits faramineux. Aveuglement volontaire quand tu nous tiens…


J’ai toléré, fermé les yeux, entretenu mes illusions parce que je continuais de détenir un moyen d’action sur des œuvres philanthropiques, parce que les nouvelles des êtres qui me sont chers me parvenaient de partout dans le monde, parce qu’on m'informait de collectes de fonds importantes, de pétitions nécessaires. Mais la tristesse grandissait, alimentée par des propos bourrés de mauvaise foi et d’accents hostiles. Je les ai vus s’étaler sur des millions de pages sous prétexte qu’à défaut de refléter la vérité ils traduisaient en toute liberté des opinions, des ressentis. J’ai pourtant lu et apprécié De la liberté, un essai du philosophe de John Stuart Mill et j’ai cru longtemps dans les bienfaits de l’absence totale de contrôle des idées et de leur énoncé quelle qu’en soit la forme. Au choc des arguments, le mensonge et l’ineptie devaient perdre au jeu, forcément. Mais les cons rassemblent les cons et rien ne les arrête, surtout pas l’épreuve des faits.


Les trahisons


Cette morosité s’est développée davantage avec l’expansion du discours haineux, la prolifération des faux comptes, les arnaques toujours plus sophistiquées, les prédations de toutes sortes qui se sont disséminées comme des métastases en des endroits insoupçonnés.


Les réseaux sociaux sont devenus pour moi comme les membres d’un grand corps malade et la dernière infection contractée me désespère. Je me sens en fin de vie (au sens figuré), comme une impression de ne plus détenir aucun pouvoir sur le prolongement de mon existence avec un minimum de dignité.

« Bien sûr, l’argent n’a pas d’odeur

Mais pas d’odeur vous monte au nez » — comme le chantait Brel [1].


Je découvre encore de la beauté qui éclot çà et là, des phrases inspirées, des manifestations artistiques originales, des actes de générosité qui entretiennent un coin de tendresse. Le ciel brûle cependant et les vagues ne l’atteignent presque plus, échouent sur mes rives sans rafraîchir l’horizon. Je me retrouve nue sous le regard de voyeurs indifférents ou de volontés malfaisantes.


Violence larvée


Je ne suis plus bien sûre que les réseaux sociaux soient l’avenir de l’humanité, car leurs miroirs déforment désormais le réel. À ce monde de plus en plus trompeur se greffent dorénavant les technologies de l’intelligence artificielle. Je reconnais ses mérites dans plusieurs domaines scientifiques, en particulier dans le soutien aux déficiences. Je salue la puissance de cette machine aux allures mythiques qui digère un nombre astronomique d’informations pour en déduire ce qui nous prendrait des siècles à comprendre. Comment ne pas apprécier l’aide qu’elle fournit aux personnes limitées par divers handicaps.


Toutefois, elle m’agresse littéralement quand elle s’invite dans ma sphère privée, quand elle me suggère comment m’exprimer, quelles ressources privilégier, quand elle s’insère dans la rédaction et remplace de manière intempestive les mots que j’ai choisis. Cette semaine, elle s’est aussi imposée par l’ajout d’un onglet sur la barre d’outils de mon traitement de texte. Pire, une icône est apparue dans le corps de la page pour me demander de décrire ce que je souhaitais écrire et m’offrir même de m’inspirer !


Comme s’il ne suffisait pas de mes défaites pour me sentir encore plus minable que je ne le suis, comme si la mort au bout de la route m’obligeait déjà à incliner la tête. Je me suis rendue dans les paramètres pour dénicher l’intrus et je l’ai désactivé. Un sentiment amer obscurcit mes projets.


L’adieu


Depuis un an, les sites qui permettent de se regrouper se multiplient, achetés, vendus, créés par des esprits mercantiles et surtout mesquins. Ma famille et mes connaissances s’y sont éparpillées, me laissant isolée au milieu d’un tourbillon de voix tonitruantes. Ces séducteurs en quête de like me serinent leur déclaration d’amour sans autre intention que de maintenir une relation abusive. Suis-je devenue une esclave numérique ?


Il ne reste plus que la rupture à consommer. Une amie écrivaine a annoncé cette semaine qu’elle quittait ce partenaire inconstant. Je suivrai son exemple. Je m’extirpe du filet social qui alimentait jadis mon bien-être. Je l’ai cru trampoline pour me rapprocher des nuages, mais je ne rebondis plus. Je me fais mal en retombant.


Le temps va trop vite pour perdre encore mon temps. Je préfère un monde que je touche de mes doigts plutôt que les images d’un écran électronique. Je préfère l’ambiance d’une salle de concert aux enregistrements vidéo. Je préfère les lettres rédigées à la main que j’attends durant des mois et qui se glissent dans la fente de ma porte. Je préfère la tasse de café bue dans l’atmosphère chaude d’un commerce de quartier. Je préfère l’amitié qui se pointe aux heures incongrues.


La vie après le divorce


Je conserve mon site Les fauteurs de mots (www.fauteursdemots.org) destinés à tous ceux qui désirent publier et qui cherchent une âme bienveillante pour héberger leurs espoirs, mais c’est tout. Je poursuivrai mes ateliers sans avoir à gérer des inscriptions bidon, je persévérerai dans mon travail silencieux et solitaire de l’écriture, je m’en tiendrai aux chemins de la modestie. Pour ma part, l’aventure des réseaux sociaux est à peu près terminée. Je vais me désengager par étape sans rien brusquer et laisser un minimum de canaux de communication ouverts. Je continuerai de signaler ma présence auprès des personnes qui comptent, de passer mes bras autour des gens que j’aime. Mon cœur ne peut faire mieux.


[1] Voir un ami pleurer, chanson de Jacques Brel

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