Lire ou écrire me permet de me rendre ailleurs dans le temps et dans l’espace. L’un comme l’autre m’aide à m’évader du présent trop stressant, de projets en difficulté, d’objectifs inaccessibles, de chagrins ou de regrets. Malgré le fait que l’écriture soit un métier qui nécessite beaucoup de travail et ne promet aucune médaille, il m’emporte loin de tout même si, de façon paradoxale, les sujets que j’aborde sont au cœur de l’activité humaine.
Lire et écrire sont des moyens de me faire voyager, de vivre dans des milieux que je n’ai jamais ou peu fréquentés, d'habiter des personnages dont j’envie la destinée, de m'exposer à l’impossible sans courir de danger. Avec le recul cependant, je me rends compte que je me la suis coulée douce, car j’ai absorbé comme une éponge des récits que j’aurais dû aborder avec un regard critique.
C’est le cas de textes religieux ou doctrinaux fondateurs qui ont été rédigés à des époques lointaines dans des contextes sociaux, culturels, philosophiques, politiques qui ne trouvent plus beaucoup de correspondance aujourd’hui. Tandis que l’école m’enseignait prophètes et théoriciens, je n’ai pas remis en question leurs « révélations » censées m’amener à échapper à la condition humaine, à m’élever au-dessus de moi-même. Il faut dire qu’on nous imposait une manière de penser.
Je suis de cet âge où on nous interdisait les livres à l’index, ce que malheureusement beaucoup de populations subissent encore. Par conséquent, l’aptitude à m’interroger sur la vérité du message ou sur le réalisme de sa mise en application ne m’est venue que bien plus tard. Pourtant, s’il y a des livres qui valent le détour, ce sont bien ceux que les autorités (quelles qu’elles soient) condamnent.
Ainsi, nous traînons dans notre bagage des mythologies dépassées, qui transportent jusqu’à aujourd’hui des idées qui n’ont plus leur raison d’être dans les contextes actuels, complexes et en perpétuelle mouvance : la représentation binaire du bien et du mal, la nécessité d’une seule et même foi pour tous les habitants de la planète, la vénération des élites, l’obéissance aveugle à la hiérarchie, les systèmes de valeur fondés sur les intérêts de groupes privilégiés, le concept de la famille hétéronormative, etc.
Nous avons besoin d’une mise à jour, d’une rencontre bienveillante pour développer de nouveaux mythes issus des savoirs contemporains et de la sagesse qui en émerge : égalité des chances, répartition des richesses, autonomie des peuples, relation de réciprocité entre État et citoyen, responsabilisation environnementale, tolérance dans le rapport à l’autre, droit à la compassion, etc.
Les mythologies anciennes nous sont imposées dès l’enfance par le biais de contes pour la jeunesse et transmises d’une génération à l’autre sans trop de modifications, sinon par adaptation cinématographique avec quelques variantes pour les mettre au goût du jour. Les super-héros polluent encore les récits d’aventures. Il y a de la place pour plus de vision, moins de morale conçue par des esprits dominants et même prédateurs.
Il serait grand temps d’ouvrir une nouvelle ère fondatrice. N’est-ce qu’une utopie ?
L'appétit pour une matière plus audacieuse se ressent surtout dans le milieu des arts, plus sensible aux enjeux individuels et collectifs. Ainsi, durant le dernier atelier d’écriture, nous avons abordé le thème du personnage de roman que nous aimerions rencontrer. Le besoin de réviser l’histoire de nos héros et héroïnes littéraires s’est manifesté de façon explicite. Juliette ne peut plus mourir, Dracula mérite plus de compréhension.
Les archétypes ont évolué. Les facteurs incontournables de leur métamorphose sont visibles tout autour de nous. Les trois petits cochons peuvent créer leur coopérative et s'opposer à la voracité du loup. La belle ne sommeille plus au bois dormant, elle fabrique et promeut des vêtements locaux et durables dans tout le royaume. La belle, toujours elle, n'attend plus d'être réveillée. Elle se plaît dans l'action. Icare a maintenant les connaissances pour explorer l’espace et s’est libéré de la gravité. Pandore a refusé la boîte que lui offrait Zeus, et celui-ci s’est retenu de pousser plus loin l’exécution de son plan de vengeance contre Titan. Les dieux ont amorcé un processus de vérité et réconciliation et ne s’en portent pas plus mal.
Les mythologies, du moins celles liées aux religions, ont évolué à mesure que la science les a déconstruites. Moins de dieux, plus de science. Cette dernière continue d'évoluer, qui sait ce que seront les mythes de demain ? Ta réflexion est vraiment intéressante, remplie de doutes et de possibles.