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Le conte : un caméléon à apprivoiser

La période des fêtes est commencée avec sa course aux préparatifs. Malgré la frénésie créée par la planification des réceptions de bureau, des rencontres sociales et familiales, les parents (sinon leur substitut… adolescent.e payé.e pour garder leurs enfants) s’assoient sur le lit avec les tout-petits pour leur raconter une courte histoire. Les contes de Noël ont la cote. Les plus créatifs en improvisent.


Sous l’apparence d’un récit naïf et simple, le genre littéraire que constitue le conte possède une origine riche de racines et revêt des formes diverses selon les époques ou l’imagination de son auteur ou autrice. Sous la surface se cache une structure complexe. Bien sûr, les parents qui inventent de toute pièce un conte à l’heure du coucher ne s’arrêtent pas à observer toutes les conventions qui le sous-tendent. La magie du conte se manifeste sans avoir à y réfléchir. Les paragraphes qui suivent s’adressent aux curieux et aux ambitieux.


Origine


Les contes les plus célèbres sont racontés de génération en génération et nous proviennent de la littérature populaire, issue de la transmission orale. Porteuse de sagesse universelle, elle se décline avec toutes sortes de variantes sur tous les continents en se teintant de culture locale. C’est pourquoi, le conte fait fi de l’unité de temps, d’action, de lieu. Les indications de temps en particulier (époque, durée, événements) et de lieux restent vagues. Souvent récit d’apprentissage et soutenu d’une représentation symbolique, métaphorique ou allégorique, le conte interroge la société à travers les tensions collectives nées de manques (pénuries, privations, carences) et de conflits.


Selon le dictionnaire Larousse, le mot « conte » descend du latin, computare : compter, et signifie entre autres choses « Rapporter un fait en énumérant ses diverses circonstances, en faire le récit. »


Déjà, à la fin du XVIIe siècle, Charles Perrault en développait le genre littéraire. Dans l’Encyclopédie Diderot publiée au XVIIIe siècle, une distinction est faite entre le conte et la fable[i].


« […] avec cette différence que fable est un récit dont le but est moral, et dont la fausseté est souvent sensible, comme lorsqu’on fait parler les animaux ou les arbres ; que conte est une histoire fausse et courte qui n’a rien d’impossible, ou une fable sans but moral; »


Au XIXe siècle Les frères Grimm ont entrepris pour leur part la collecte de contes populaires allemands. Au Danemark, Hans Christian Andersen a écrit des contes appréciés et traduits dans de très nombreux pays. Puis, au XXe siècle est apparu le conte insolite qui allie l’extraordinaire, l’inhabituel, et l’absence de sens, recourant à l’étrangeté et à une absence d’émotivité[ii].


Le professeur Jean Duberger de l’Université Laval remarque que « […] le conte n’est pas objet de croyance et sa fonction est de divertir[iii]. »


Formes


Le conte s’habille d’apparences diverses, un vrai caméléon ! Qu’il s’adresse aux enfants et aux adultes, il touche nos peurs et nos doutes, soulève des émotions enfouies dans l’inconscient. Voici une liste des formes courantes :

  • Merveilleux ou fantastique : contient des événements, personnages ou autres éléments surnaturels (feu follet, loup-garou, lutin ou gardien de trésor)

  • Religieux : réfère aux saints, aux dieux, à Dieu, ou autre entité supérieure qui portent secours ou punissent les humains

  • Moral : rappelle les règles sur lesquelles fonctionne la société

  • Noir : s’inspire d’un drame avec une touche de réalisme, ou d’horreur et d’humour imbriqués

  • Mythologique : s’attache au pourquoi et au comment des choses

  • Satirique : ridiculise les héros et leurs adversaires

  • Philosophique : approfondit les enjeux de l’humanité

  • Divertissant : met en scène de façon amusante des antihéros qui échouent leurs entreprises

  • Érotique, licencieux ou grivois : où le sujet couvre le sexe, les fantasmes, le libertinage, la sensualité et l’intime

  • Romanesque : rapporte le sort tragique d’un personnage

  • Légendaire : au Québec, le Diable en tant que justicier, possesseur d’âme ou négociateur de pacte odieux) est très présent ainsi que les fées, sorcières, revenants et personnes de stature impressionnante comme Jos Montferrand, ou encore douées d’un talent exceptionnel

  • Mensonger : élabore des faits invraisemblables qui indiquent sans équivoque que tout est faux dans le conte

  • Insolite : voisine le fantastique et le merveilleux, mais l’introduit dans le quotidien, déroge aux normes socioculturelles et élabore une réflexion indépendante des faits

Écrire un conte


A- Choisir un point de vue narratif

  • Personnage qui fait partie du récit, interne : au « je » ou incarné par un personnage

  • Point de vue extérieur : rapporté par un observateur

  • Point de vue neutre : le narrateur omniscient

B- Couvrir les éléments de base

  • Un personnage principal : humain, animal, ou être merveilleux, qui possède des caractéristiques fascinantes

  • L’ami et l’adversaire du personnage principal

  • L’endroit : faire appel aux cinq sens (voir, sentir, goûter, toucher, entendre)

  • Une rencontre significative qui modifie le cours de l’histoire

  • Une épreuve : émotions fortes, verbes d’action, questionnement quant aux limites de l’être humain

  • De la magie : un phénomène inexplicable

  • Une morale, mais pas forcément : c’est le moment de résumer le problème initial et de tirer une conclusion. Dire ce qui est juste, ce qui devrait être respecté, ce qui doit être accompli par chacun de nous.

C- Schéma narratif

  • La situation initiale amorcée par une formule d’ouverture : « Il était une fois », « Il y a bien longtemps », « En ces temps-là ». On annonce l’idée maîtresse, on commence la narration en tenant compte de la fin. On essaie de faire croire qu’il s’agit d’un fait vécu.

  • L’élément perturbateur, déclencheur d’une quête : on lance l’intrigue. Un événement ou un personnage vient bousculer les habitudes du héros ou de l’héroïne, ce qui les pousse à accomplir quelque chose, à se donner un objectif ou à s’investir d’une mission.

  • Des péripéties, des épreuves, l’aventure : la partie la plus étoffée du récit. Le début de cette étape commence par un changement de décor et est un moment heureux, mais illusoire. Le nouvel environnement est plaisant et les personnes rencontrées sympathiques. Il faut créer une montée de tension jusqu’à une situation critique. La première épreuve peut consister en une confrontation avec une force de la nature. La deuxième permet au personnage de se mesurer avec les émissaires de son adversaire. En cours de récit, le héros ou l’héroïne peut secourir un.e inconnu.e qui l’aide à son tour (don d’un objet, d’un talent, d’un pouvoir, etc.). La troisième épreuve teste sa détermination. Le suspense est à son comble. Une confrontation ou un duel termine cette phase de l’histoire.

  • Le dénouement heureux : un événement, un personnage ou une action résout le problème, une récompense et une nouvelle vie à la clé.

D- Procédés inspirants

  • L’énumération (personnages, objets, etc.)

  • L’élimination progressive des membres d’un groupe

  • Le remplacement successif de personnages

  • L’ajout successif de personnages

  • L’emboîtement : comme des poupées russes, une situation en cache une autre

  • Les fonctions de Propp : dans son livre Morphologie du conte, paru en 1928, Vladimir Propp a identifié trente et une fonctions possibles ou actions posées dans le récit, soit[iv] :

- « Éloignement ou absence

- Interdiction

- Transgression de l’interdit

- Interrogation (du vilain par le héros/du héros par le vilain)

- Information (sur le héros/le vilain)

- Tentative de tromperie

- Le héros se laisse tromper

- Le vilain réussit son forfait (séquestrer, faire disparaître un proche du Roi ou du héros)

- Demande est faite au héros de réparer le forfait

- Acceptation de la mission par le héros

- Départ du héros

- Mise à l’épreuve du héros par un donateur

- Le héros passe l’épreuve

- Don : le héros est en possession d’un pouvoir magique

- Arrivée du héros à l’endroit de sa mission

- Combat du héros et du vilain

- Le héros reçoit une marque (blessure, anneau, foulard)

- Défaite du vilain

- Résolution du forfait initial

- Retour du héros

- Le héros est poursuivi

- Le héros échappe aux obstacles

- Arrivée incognito du héros

- Un faux héros/vilain réclame la récompense

- Épreuve de reconnaissance du héros

- Réussite du héros

- Le héros est reconnu grâce à sa marque

- Le faux héros/vilain est découvert

- Le héros est transfiguré

- Le vilain est puni

- Le héros épouse la princesse/monte sur le trône »


E- Temps des verbes


L’indicatif imparfait sert à circonscrire le contexte du récit (descriptions, habitudes, etc.), car c’est le temps de verbe de la durée et des routines. Le passé simple ou le passé composé est ensuite approprié pour les actions soudaines et ponctuelles. Ils peuvent être maintenus jusqu’à la fin du récit.


Je m’en voudrais de terminer sans mentionner un très beau livre que je possède chez moi, Mille ans de contes : Québec, des textes choisis par Cécile Gagnon aux Éditions Milan que je m’étais procuré à la fin des années 90. Un plaisir renouvelé chaque fois que j’y retourne.

[i]Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Tome quatrième, Conjonctif-Discussion/par une société de gens de lettres ; mis en ordre et publié par M. [Denis] Diderot,... et quant à la partie mathématique, par M. [Jean Le Rond] d’Alembert,.., Paris, 1re édition, 1751-1765, p. 111 [ii] KOMANDERA, Aleksandra. Le Conte insolite français au XX siècle. University of Silesia Press, Katowice, 2010, https://core.ac.uk/download/pdf/197747335.pdf, consulté le 30 novembre 2022 [iii] DU BERGER, Jean. Le folklore au Québec. Professeur retraité, Université Laval. https://usito.usherbrooke.ca/articles/th%C3%A9matiques/du_berger_1, consulté le 30 novembre 2022. [iv] https://fr.wikipedia.org/wiki/Morphologie_du_conte, consulté le 30 novembre 2022

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