La semaine dernière, mon fils m’a introduite à un nouveau monde, celui de l’écriture livrée par intelligence artificielle. Il m’a présenté un logiciel amusant avec lequel il construit des histoires. Le programme fait choisir à l’abonné entre différents genres : fantaisie, mystère, zombie, etc. Ensuite, il demande d’enregistrer une brève description de personnage et une couple de phrases à partir desquelles il poursuit l’intrigue commencée. La prochaine étape consiste à accepter ou refuser la suggestion de l’application. Si l’usager la rejette, il procède avec un autre scénario qui doit être accepté ou refusé, et ainsi de suite. Fiston s’y amuse des heures durant.
Ma curiosité piquée, j’ai interrogé Internet. J’y ai découvert qu’une application en anglais prétend permettre aux utilisateurs d’écrire à la manière d’Hemingway. Elle assure posséder la capacité de reformuler les phrases trop lourdes, supprimer les adverbes et améliorer la lisibilité, la fluidité du texte. Un autre logiciel se vante d’analyser structure, thèmes, rythme, personnages, dialogues.
J’y ai aussi lu que, déjà, l’intelligence artificielle sait rédiger sans égard aux domaines abordés : économiques, sportifs, etc., et que les aides à la rédaction se multiplient. Les créateurs d’un logiciel suisse en phase de test affirment proposer un modèle de génération de textes en français jamais égalé. Il peut offrir de brèves histoires, des lettres, et des traductions. Il a été entraîné à partir de contenus en ligne, épurés de désinformation, d’écrits de mauvaise qualité et de visées dangereuses.
Microsoft a remplacé de nombreux journalistes en misant sur l’intelligence artificielle, mais dès que certains faits exigent le développement d’un point de vue particulier fondé sur l’expérience humaine, la technologie peine à élever la réflexion. Il ne fait encore qu’imiter ce qu’il connaît déjà.
Pour le moment, les avis s’accordent pour dire que l’intelligence artificielle peut accélérer le travail d’écriture, mais elle reste, à la base, un mécanisme de collection de données. Les informaticiens planchent sur un objectif bien plus ambitieux, soit de la programmer pour apprendre, ce qui la rendrait indépendante des données que nous lui fournissons. Beaucoup jurent qu'ils y sont parvenus, de plus modestes affirment qu’ils sont prêts du but.
Mais, l’intelligence artificielle pourra-t-elle un jour reconstituer l’émotion, la créativité, la subjectivité, les perspectives variées, l’originalité, le style et la capacité de jugement ? Les avancées sont cependant sensibles. Est-il possible de recréer l’inventivité caractéristique des fonctions cérébrales du langage qui crée les doubles sens, les sous-entendus, les admissions tacites, etc. ?
Dans le Livre blanc, L’intelligence artificielle et le monde du livre, le poète David « Jhave » Johnston s'interroge :
« L’écrivain sélectionnerait les genres, les styles, les idiomes, les idiosyncrasies régionales et le niveau de complexité de la langue à partir d’une carte de classification dynamique et évolutive, puis un modèle d’autocomplétion personnalisé (l’assistant archétypal) générerait un texte cohérent. D’autres chemins littéraires apparaîtraient alors sous forme de tentacules ramifiés. »
« Le danger est le même qu’il l’a toujours été : conformité, prévisibilité, réplication obsolète, boucles de renforcement du contenu. L’intérêt est de bénéficier d’une créativité toujours présente, la muse infinie de l’IA, ouvrant la porte à des auteurs hybrides homme-machine, à des genres littéraires IA-humains – des espaces d’écriture semi-automatiques ouverts et évolutifs. »
Le dernier roman, d’Antony Altman et Catherine Lang, paru en 2018, s’attaque à la question sous un autre angle. Douze écrivains doivent produire un best-seller en quatre jours lors d’un concours littéraire. L’une des participantes utilise une puce programmée implantée sous sa peau qui écrit à sa place. S’il est question de confectionner, par un brassage de bits, un succès de librairie, on peut se demander comment ils pourraient bien être redistribués pour inventer une nouvelle voix, une voix comme celle de Marie-Claire Blais qui s’est envolée hier, sans passeport ni preuve vaccinale, vers une contrée totalement étrangère aux vivants d’où ses mots continueront de nous atteindre en plein cœur ?
Si l’ordinateur a gagné contre l’humain aux jeux de go et d’échec, la partie est cette fois d’une complexité infinie, car la virtuosité dans le domaine du langage tient du génie de l’inconscient et du vécu. Échec et mat.
Moi qui ne dispose que de très peu de temps pour publier ce billet, je serais tentée d’en faire l’expérience. L’intelligence artificielle qui rédige un texte à propos d’elle-même, ce serait intéressant, non ? Une belle mise en abyme se profile… Saura-t-elle me remplacer, me convaincre de son aptitude à accoucher de la qualité ? Et mieux encore, étant nourrie au sein des écrits qui existent déjà, saura-t-elle éviter le danger d’enfreindre tout droit d’auteur ?
Sites consultés fin novembre 2021
Tom Lebrun René Audet Livre blanc : L’intelligence artificielle et le monde du livre. Laboratoire ex situ. Université Laval, septembre 2020, https://www.docdroid.com/7Cja6c0/livreblanc-ia-mondedulivre-fr-pdf#page=26
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