On attribue au cercle, cet archétype universel, des significations tant bénéfiques que maléfiques. Le cercle, image fascinante de la courbe dont tous les points sont à la même distance du centre, semble gouverner nos vies et nos œuvres.
Automne, une autre rentrée littéraire. Comme des milliers d’auteurs et d’autrices, j’évolue en périphérie de cet événement annuel, consommatrice plutôt qu’offrande, comme ces satellites invisibles autour de planètes dotées d’un intense champ magnétique. Ce mouvement d’aller-retour traditionnel évoque l’idée d’un cercle. Pour les écrivains : le cycle du prochain titre, des relectures, réécritures, de la tournée des éditeurs, des contrats accordés ou des refus, des activités adjacentes qui s’ensuivent.
Trajectoire orbitale
Des itinéraires circulaires, nous en vivons tous. Je reviens d’une rencontre donnée à l’occasion du cinquantième anniversaire de mon secondaire V. Ce jubilé s’est tenu dans notre ancienne institution. Quand j’ai marché de nouveau sur le plancher de béton identique à tous ceux qu’on pose dans les bâtiments publics d’époque, un plancher moucheté d’une couleur de fond indécise entre le gris et le beigeasse, j’ai ressenti la force centripète de ce jour de retrouvailles.
Pas question de me réfugier dehors comme je le faisais enfant, puis adolescente, pour m’évader dans les hautes herbes qui entouraient le couvent, dans mon imaginaire bien plus que dans le champ avec des histoires sans queue ni tête. Pourquoi ce retour ?
Épicentre, lieu de reconnexion
Sur le mur du salon où nous étions réunies était reproduit le texte que nous avions fourni à l’organisation pour résumer nos cinquante dernières années. Pour ma part, un écrit trop long, comme de la vantardise, à mille lieues de mon intention. Je l’aurais raccourci, avoir su l’espace qu’il occuperait sur l’affichette. L’impression de prendre trop de place à l’instar du sentiment vécu durant mes neuf ans d’études.
Au bas du carton, j’ai relu le paragraphe associé à mon nom dans le journal des finissantes. On m’y représentait comme journaliste envoyée sur la lune, on y soulignait ma timidité. Durant plusieurs décennies, le souvenir de ces quelques mots m’a blessée, mais aussi poussée à devenir une meilleure version de moi.
Un tourbillon d’émotions se déchaîne, tel l’ouragan Hélène qui vient de sévir au sud de l’Amérique. Coïncidence, deux amies avec lesquelles je cherchais, entre quatorze et seize ans, un exutoire à mon mal-être se prénomment Hélène. Cette image du tourbillon et de l’ouragan concorde avec celle de la spirale dont parle Hélène Dorion dans son livre Recommencements. Ce mouvement giratoire qu’elle décrit avec poésie comme une configuration inévitable de nos existences m’avait donc entraîné à franchir les portes du purgatoire, à me jeter, en entrant, dans les bras d’une consœur d’alors et à l’appeler Hélène, un prénom qui n’est pas le sien.
Assise dans l’auditorium où j’avais tenté quelques fois de me faire valoir en montant sur les planches, je me suis surprise à observer avec empathie toutes ces compagnes de fortune que j’avais côtoyées. Tout comme moi, ces femmes n’avaient certainement pas été ménagées par les épreuves. Tout comme moi, elles se félicitaient peut-être de remettre leurs pas dans les pas d’autrefois, vivantes et conscientes de la chance de vieillir.
Avec une salutaire capacité à l’autodérision, je me suis revue à dix-sept ans lors d’une remise de diplôme humoristique. Invitée par trois fois à gravir les marches de la scène, mon amie Hélène m’avait tirée de mon inattention sous les éclats de rire. La terre désespérait de la lune. Au haut de l’escalier en ce mois de septembre 2024, j’ai participé à la photographie de groupe des anciennes. Je bouclais la boucle. Me suis-je pour autant affranchie du cercle dont j’ai longtemps été captive ?
Éclipse de Lune
En repassant sous le portail de cette école qui, soudain, me semblait si petite, en rouvrant des plaies mal comprises, une paillette a scintillé à la fin des mots accolés à mon nom dans le journal des finissantes. Un commentaire généreux contrebalançait l’ombre de la lune. Il m’a fallu cinquante ans pour cueillir la plume d’argent qu’une rédactrice bienveillante m’avait concédée. Une plume d’argent, le symbole avec lequel j’aurais tant voulu me définir. Je l’ai occultée, les vagues cotidales grossies par l’effet de la lune m’ayant écartée de son rayonnement.
En ressortant, je traverse le chas de la porte de mon collège pour m’extraire de mes incohérences. J’aborde la suite des choses avec moins d’attente, plus de sagesse. La tortue ne souhaite plus dépasser les lièvres pour emporter la victoire, rêve violent où je me voyais narguer les coureurs laissés derrière, sans souci de leurs propres enjeux. Les victimes peuvent se découvrir plus sadiques que leurs bourreaux, la vengeance sévit sur l’innocent, un cercle qui n’apporte rien de bon à personne.
La face cachée du cercle
On attribue au cercle, cet archétype universel, des significations tant bénéfiques que maléfiques. Le cercle, la spirale, l’anneau inspirent des histoires d’horreurs (Ringu du romancier japonais Kôji Suzuki), des récits héroïques (The Lord of the Rings, trilogie de J. R. R. Tolkien), des cantiques ayant pour objet le châtiment (les neuf cercles de La Divine comédie de Dante) pour ne nommer que ces œuvres.
« Atteindre le centre. Un centre, qui sans origine ni fin, nous détacherait d’un but. Nous libérerait.
Nulle part où aller. Tenir ainsi au cœur d’une invisible spirale, serait-ce donc cela l’ultime promesse ?[i] »
Cercles d’ami·e·s, cercles associatifs, cercles privés, cercle du soleil et de la lune, cercle des trous noirs, ouroboros ou cercle du serpent qui mord sa queue, spirales des galaxies, allégorie primitive du cercle qui nous rappelle qu’on renaît toujours à soi, même lorsque nous nous engageons dans un nouveau cercle, un voyage intime qui ne sera jamais que concentrique.
[i] Hélène Dorion, Recommencements, Récit, Éditions Druide, Montréal, 2014, p. 52
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