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La rentrée : portes ouvertes sur l’intimidation

L’intimidation, le bullying, qu’est-ce que ça à voir avec la littérature ? Le sujet recèle une richesse de thèmes et de personnages inépuisables qui s’enracinent dans le moindre désir de prise de pouvoir, de contrôle, d’effacer le sentiment d’inconfort devant la différence, de discriminer pour chasser la peur, d’asseoir son allégeance à la tribu. Dans ce billet : les composantes pour écrire une bonne histoire d’intimidation.


Une personne seule la tête cachée dans son bras replié
Étudiante triste dans un escalier

En cette dernière semaine d’août durant laquelle j’écris ce billet, les enfants qui fréquenteront cette année l’école voisine s’ébattent dans le parc attenant. Des arbres matures, des modules de jeux, des balançoires, une immense superficie gazonnée, un aménagement pour accueillir les parties de balle-molle et de baseball, un terrain de pétanque presque abandonné, des tables à pique-nique. L’endroit idéal pour jouer à la marelle, à la cachette, à la tague, pour y dresser des structures gonflables les jours de fête. On s’y sent tout de suite heureux.


La rentrée : date auréolée d’une atmosphère fébrile, aiguillonnée par l’expectative : nouveau professeur, nouvelles matières, nouveaux camarades. Je roulais à vélo alors que cette volée de poussins s’élançait aux quatre points cardinaux. Comme tous les parents qui approchent ce mini paradis, j’ai rêvé autrefois d’y déposer mes tout-petits. Le bonheur certifié, comme le veut le discours de ces visionnaires qui conçoivent des labs-écoles, repensent l’environnement physique des élèves pour maximiser leur bien-être. Cependant…


Au travers les groupes de moineaux piaillant et voltigeant dans tous les sens, j’ai distingué une fillette ici, un garçon là, seul·e, occupé·e à faire semblant de vivre une belle journée tout en flairant le danger qui les guette, ce que décrit si bien Bruno Hébert, également auteur de C’est pas moi, je le jure, dans son roman Alice court avec René :


« Premier jour d’école. Je n’arrive même pas à imaginer l’immensité du malentendu. Tout le monde est joyeux.

[…]

Je suis un imposteur qui sera bientôt démasqué et recraché sur le rivage de la cour de récréation. […] La seule inconnue, c’est de savoir combien il faudra de temps avant que je ne sois découvert et lynché par la masse hostile de mes camarades. Je suis un monstre déguisé en écolier; […] [1] »


Je revisite ma propre expérience dans ces mots précis :


« Moi qui ai tout fait pour me faire oublier, pour disparaître dans les moulures et me dissoudre dans les coins sombres ; moi qui ai compris qu’il n’est pas nécessaire de mourir pour devenir poussière et qu’il est très facile de se réduire en miettes pour faire un petit tas derrière une porte; […] [2]  »


Dans La chute de Sparte de Biz, un jeune du secondaire au nom prédestiné de Steeve formule ainsi sa détresse :


« La folie, ce n’est pas de hurler durant un incendie, mais d’agir normalement alors que la maison brûle [3]. »


L’intimidation (le bullying) en littérature


Qu’est-ce que ça à voir avec la littérature ? L’histoire se répète et elle recèle une richesse de thèmes et de personnages inépuisables, d’abord que se pointe le moindre désir de prise de pouvoir, de contrôle, d’effacer le sentiment d’inconfort devant la différence, de discriminer pour atténuer la peur, d’asseoir son allégeance à la tribu. Parce qu’après leur parcours éducatif, les adultes ne se comportent pas autrement. Nos chartes canadiennes et québécoises des droits et libertés ont inscrit dans la loi ces motifs facilement identifiables : caractéristiques personnelles, handicap, race, origine ethnique, âge, religion, expression de genre ou langue. J’ajouterais l’accent régional, un prénom ou un nom de famille inhabituel, l’odeur corporelle, la laideur et la beauté, le statut social, et tant d’autres raisons innomées.


La popularité de ce scénario se remarque dans les séries télévisées, au cinéma, dans les romans pour tous les âges, dans les livres pédagogiques et de référence. Ils sont listés par centaines sur Internet, dans les bibliothèques et les librairies.


Les composantes pour construire une bonne histoire d’intimidation


Lieux : aucune limite, aucune frontière (domicile, institution, autoroute, région, pays, etc.) ne freine le développement de la narration. Un lieu spécifique ou abstrait, au choix.


Dans le roman Carrie de Stephen King, l’adolescente aperçoit du sang entre ses jambes alors qu’elle se tient dans les douches de son école. Ne sachant pas ce que sont les menstruations, elle est ridiculisée et assaillie de tampons. Cette scène illustre le mécanisme dramatique de l’espace clos, de sa puissance sur la poussée d’anxiété vécue par la victime, de l’effet des non-dits, surtout lorsqu’ils découlent de tabous quels qu’ils soient.


Notre époque a vu s’ériger un lieu virtuel par le moyen des technologies : les réseaux sociaux, les sites web, les forums, les courriels, les textos, la messagerie instantanée. Autant d’univers qui fertilisent l’intimidation et le harcèlement, autant d’univers à explorer pour les romanciers et romancières.


Actions : en général volontaires mais pas toujours, directes ou indirectes, uniques ou répétitives.


  • des paroles : menaces, commentaires, secrets ébruités, violence verbale, rumeurs malveillantes, insultes, moqueries, remarques sur des caractéristiques personnelles comme l’expression de genre, l’appartenance à une minorité visible

  • des gestes : de la violence physique (jambette, coups, bousculade, poing brandi)


Extrait du roman Sautl-au-Galant d’Isabelle Grégoire, dans lequel un enfant est enfermé dans une poubelle : « Puis Maxime l’a pris par les culottes et l’a jeté dedans. […] Je leur ai demandé de laisser Emilio sortir mais ils avaient beaucoup trop de fun pour m’écouter. C’est juste quand la cloche a sonné que ces trois lâches sont partis en courant, laissant enfin le pauvre Emilio sortir de sa prison puante […] [4] ».


  • du vol, du vandalisme ou de la destruction, de la fraude, le fait d’obliger à commettre une action répréhensible sous peine de représailles

  • de la nuisance sociale : mensonges, dénigrement, exclusion ou isolement

  • des images : pornographie juvénile, mèmes, symboles, emojis avilissants

  • des comportements : harcèlement, incitation à la haine visant une communauté, une orientation sexuelle, une religion, etc.


tout ce qui blesse, humilie, qui a pour effet d’exclure ou d’affecter l’estime de soi, qui porte atteinte à la dignité dans le cadre d’un rapport de force. Une plaisanterie ou un conflit ne s’y apparente pas tant que les personnes impliquées se mesurent à moyens égaux.


Intention : Une intention machiavélique n’est pas systématiquement présente. Stephen King ne manque pas de le relever :


« Vous étiez des gosses, dit-il, les gosses ne savent pas ce qu’ils font. Ils ne se doutent même pas que leurs réactions risquent de blesser, réellement, profondément les autres [5] ».


C’est ce que soulignait pour sa part le professeur Georges Leroux, professeur émérite au département de philosophie, lors du lancement en 2014 d’un projet appelé PréVIEns plus : « On ne le dit pas assez : la violence, l’intolérance, la discrimination ne sont pas le résultat d’une méchanceté intrinsèque de nos jeunes, elles sont plutôt le fruit d’une vie collective conformiste. La solution la plus facile est de faire comme tout le monde et donc de refuser le dialogue et l’écoute [6] ».


Points de vue : celui de n’importe quel personnage. Par exemple, dans Carrie de Stephen King, un des responsables de la tragédie prend la parole :


« A la suite d’un drame qui a entraîné la mort de deux cents personnes et la destruction d’une ville entière, il est si facile d’oublier un simple détail : nous étions des enfants [7] ».


Arc narratif : la transformation de n’importe quel protagoniste, d’abord qu’il y a un déclencheur, une raison qui l’incite à réagir, des épreuves à surmonter, une métamorphose intérieure et extérieure qui se solde par une fin positive ou dramatique.


Personnages : La victime, un proche, un témoin, un observateur, un intervenant, le harceleur ou l’agresseur, des enfants, des professeurs, un éducateur, des voisins, des collègues, des patrons, des employés, un fournisseur, un client, un élu, un leader, bref tout le monde. Dans le contexte du travail, le harcèlement psychologique peut être assimilé à l’intimidation. Pour ne pas rédiger une thèse, voici trois archétypes principaux : la victime, l’agresseur, le témoin.


La victime


Point faible

  • difficulté à se défendre contre un individu ou un groupe qui exerce son emprise sur elle.


Moyens de défense

  • se fier à son instinct, s’entourer, se confier, s’adresser à l’autorité compétente, ne pas rester seul·e, s’appuyer sur des ami·e·s, des gens qui peuvent s’interposer, créer des amitiés ou entretenir et renforcer celles qui existent, contacter des ressources d’aide (en personne, au téléphone ou en ligne)

  • exprimer ses limites devant l’agresseur, le confronter dans la mesure du possible, lui dire que son comportement est inacceptable et que ça doit cesser, s’affirmer en expliquant ce qu’on ressent, en dépeignant les conséquences pour stimuler son aptitude à l’empathie

  • garder son calme, ignorer, demeurer positif, vaincre la honte d’être une cible : la personne qui intimide recherche une réaction. Il faut persévérer dans la confiance en soi

  • documenter afin de disposer de preuves contre toute tentative de qualifier la situation de perception subjective, car en effet la perception de la victime apporte une touche de complexité à l’affaire.


L’agresseur


Ses armes

  • fragiliser l’assurance de sa victime, annihiler sa capacité de déployer ses qualités, ses atouts, ses talents, sa valeur

  • isoler, installer le silence à l’entour. Tant qu’il n’y a pas de témoin ou qu’il a les témoins dans sa poche, la victime est à sa merci


Ses points faibles : ses motifs. L’agresseur se sent menacé dans sa recherche d’affirmation, dans sa quête de popularité, dans son besoin conscient ou inconscient de tirer avantage ou de se venger. Souvent, l’agresseur est lui-même une victime chez lui ou dans son milieu. Ses agissements n’ont aucun lien avec le souffre-douleur choisi, dont les paroles ou les actes ne justifient en rien ce qui lui arrive.


Le témoin


Le rôle qu’on peut lui attribuer est celui d’observateur, de confident ou d’intervenant.


  • l’observateur instruit le lecteur sur tous les éléments constitutifs de l’histoire.


  • le confident soutient la victime, conseille, éveille l’empathie chez le lecteur, peut devenir un acteur dans la narration, un pilier ou représenter l’archétype de la personne impuissante ou encore du lâche qui écoute sans s’impliquer. Cette dernière avenue étaye un arc narratif qui se dirige tout droit vers un drame. Dans le roman Sautl-au-Galant, on en trouve l’exacte incarnation.


« Josée, la surveillante du dîner, fait elle aussi comme si de rien n’était : même si elle a des super grosses lunettes, elle n’a pas l’air de voir qu’Emilio se fait écœurer [8] ».

« Et moi ? Je ne suis pas meilleure que les autres. J’ai pensé avertir Anne-Marie mais je ne l’ai pas fait. Je sais que ce n’est pas une excuse, mais je n’ai pas le goût d’être une “stooleuse”. Ni de me faire rejeter moi aussi [9] ».


  • L’intervenant parle, dénonce, passe à l’action.


Thèmes : la violence exercée sur une victime, l’universalité de ce comportement, les motifs qui la sous-tendent, l’affrontement, la découverte de ressources insoupçonnées, la résilience, la reconstruction.



Je suis l’autre


Parce qu’on a endossé contre son gré le vêtement de la tête à claques, on se croit à l’abri de reproduire sur d’autres la conduite de l’assaillant. On sait. Et parce qu’on sait, il nous paraît impensable de se convertir à son tour en bourreau. On ne peut même pas imaginer qu’un membre de sa famille tourmente qui que ce soit. Pourtant, tôt ou tard, nous rencontrons dans le miroir la facette ténébreuse de la condition humaine. Aucun environnement, aussi enchanteur soit-il, ne constitue un bouclier de protection, même contre soi.


La fiction est reconnue pour développer la faculté de s’identifier à l’autre, de percevoir ses sentiments, comprendre ses émotions. Il n’y aura jamais assez de romans, d’études, de livres de référence sur le sujet et de mesures incitatives à la lecture.


[1] HÉBERT, Bruno. Alice court avec René, Les éditions du Boréal, Montréal, 2008, p. 12 et 13


[2] Id. p. 80


[3] BIZ. La chute de Sparte. Leméac Éditeur. 2011


[4] GRÉGOIRE, Isabelle. Sautl-au-Galant. Québec Amérique, Montréal, 2014, p. 55


[5] KING, Stephen. Carrie. Édition J’ai lu, 1974, 288 pages


[6] GAUVREAU, Claude. Prévenir la violence et l’intimidation. Novembre 2014. https://actualites.uqam.ca/2014/projet-prevenir-violence-et-intimidation/


[7] KING, Stephen. Op. cit.


[8] GRÉGOIRE, Isabelle, op.cit. p. 55


[9] Id. p. 70



Sources consultées le 27 août 2025


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