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Comment s’évalue l’intérêt et le caractère d’un ouvrage de fiction ?

Dès mon jeune âge, j’aimais donner un coup de main à ma famille et à mes amies pour repérer les fautes d’orthographe, le choix des mots et l’élaboration d’une histoire. En suivant des cours de latin ainsi que de littérature française et anglaise, j’ai été intimidée (et je le suis toujours) par l’extraordinaire profondeur des mots et des mondes créés par leur association. Ce goût naturel s’est développé davantage dans le cadre de mes responsabilités au sein de l’édition juridique en corrigeant le travail de mes pairs et de pigistes. Mes propres écrits ont été vérifiés par d’autres yeux que les miens. Confrontée à mes distractions ou méconnaissances de la langue, j’ai appris l’humilité.


Sans plus de formation que celle décrite, on me demande de commenter des récits de plus en plus élaborés. Faisant appel à mon expérience de lectrice, j’ai accepté tout en mentionnant l’insuffisance de mes antécédents. Invariablement, je me pose cette question : comment s’évalue l’intérêt, le caractère d’une œuvre ? Mes lectures m’amènent à proposer quelques règles de forme et de fond.


Sept règles sur la forme


Je souhaite rappeler leur relativité. Les normes sont faites pour être enfreintes, sauf pour ce qui est du respect de la grammaire, de l’orthographe, des temps de verbe choisis en fonction du présent évoqué, d’un passé récent ou lointain, et de la vigilance quant aux coquilles. Mais encore là, le génie inventif déjoue les lois de la syntaxe, conçoit des néologismes sans scrupule, et c’est tant mieux. Il peut aussi arriver qu’une erreur d’inattention accouche d’une fantaisie réjouissante.


  1. Quel soin a été porté aux premières et aux dernières pages (incipit et excipit) ? De longueurs variables, elles disent tout du ton de l’ouvrage. On entend la voix de l’auteur : contemplative ou débordante d’énergie, sage ou éclatée, mesurée ou incendiaire, dramatique ou comique, curieuse ou blasée.

  2. Peut-on identifier avec facilité l’idée directrice, les thèmes (central et sous-jacents), les personnages (principal et secondaires) ?

  3. Quelle utilité a été attribuée aux descriptions ?

  4. S’y trouve-t-il des illogismes ? (Exemples : éléments de décor différents d’une scène à l’autre ou profils psychologiques contradictoires)

  5. Les phrases et les paragraphes sont-ils liés par des connecteurs de temps, d’énumération, de conséquence, d’opposition, etc. pour rendre la lecture plus coulante ? Non, « du coup » ne constitue pas une option à favoriser…

  6. Les paragraphes sont-ils découpés en fonction de l’unité « une idée - un paragraphe », d’un changement de scène (temps, espace, personnage) ou d’énonciation (narration, dialogue, portrait, explication) ?

  7. Les chapitres sont-ils structurés pour progresser dans l’action, modifier le moment, introduire un nouveau lieu ou un nouveau protagoniste ? Les moments forts sont-ils distribués de façon efficace ?

Sept règles sur le fond


Dernièrement, je suis tombée sur un livre scolaire ayant appartenu à mes parents, publié en 1959 : L’Art de commenter un texte – L’art et la littérature : inspirations, formes et genres, par François Germain[1]. Il m’a permis de réfléchir sur des considérations qui paraissent plus abstraites.


  1. Le plaisir : Peu importe que le plaisir, ce qu’il désigne par le mot délectation, prenne sa source dans la quiétude, le bonheur, l’épouvante ou l’horreur, l’aliénation ou la rébellion, ou encore au sein de tendances culturelles ou de préférences personnelles, il doit répondre à un besoin d’authenticité, même par le biais de confidences involontaires, pour créer chez le lecteur une jouissance et de l’empathie pour les protagonistes.

  2. L’innovation : Les émotions et sentiments exprimés, l’imagination et l’intelligence suffisent-ils à distinguer une œuvre des autres ? Bien sûr que non. Le talent, l’inspiration, le génie différencient le mieux de l’ordinaire et ces trois dernières aptitudes si mystérieuses n’émergent pas de la soumission aux modes et aux standards contemporains. Selon l’époque, la contrée, le vécu et la personnalité, le récit en sera transcendé.

  3. L’intérêt : Pour attirer l’attention, trois techniques ont prouvé leur efficacité et comportent toutefois chacune un danger : l’enrichissement (adjectifs, métaphores, etc.) avec le danger d’enflure et de surcharge, le dépouillement — l’élimination des détails — et le danger de produire une abstraction difficile à décoder, la structure — l’organisation en fonction de l’ensemble — et le danger de faire de la peinture à numéros. Entre objectivité, subjectivité et réalisme, la navigation ne s’effectue pas sans écueils.

  4. Les valeurs intellectuelles et irrationnelles : La langue française n’est pas une langue de synthèse. Pour traduire des nuances, nous ajoutons des adjectifs, des adverbes, des comparaisons. Les mots recèlent en eux-mêmes des valeurs intellectuelles (un sens clair et précis) qui peuvent se revêtir de valeurs irrationnelles : sensibilité, affectivité, musicalité. La direction adoptée — épique, lyrique, dramatique, romanesque, comique, didactique (souvent historique) — sera soutenue par la constance. Le mélange de genres risque d’affaiblir l’œuvre. Il n’est cependant pas exclu qu’un virtuose de la jonglerie parvienne à nous en mette plein la vue.

  5. Le rythme : Le rythme confère un style particulier par la répétition de mots, de consonnes dures ou de voyelles assonantes, de ponctuation, par l’alternance de syllabes longues et brèves, mais il s’impose plus par l’orchestration des idées que par l’harmonie.

  6. L’originalité : La littérature n’est pas qu’un art comme exutoire à nos frustrations, comme nécessité d’allouer du prix aux choses, de découvrir un sens à la vie, de façonner de la beauté, de transfigurer la réalité. Elle embrasse également la philosophie, l’éthique, la science, la politique, la sociologie et de multiples autres domaines. Par les thèmes inédits et les sensibilités nouvelles naît l’originalité.

  7. Sujet, intention, moyens, l’équation imparable : L’auteur réussit-il à octroyer au sujet de la vraisemblance, communique-t-il bien son intention, démontre-t-il de l’habileté à l’éclairer ?

Premières et dernières pages, thèmes, personnages et descriptions, enchaînements et structure composent l’extérieur de l’édifice. L’innovation, l’originalité, la mise en relief de la langue et le rythme, mais surtout le plaisir alimentent les flammes dans l’âtre. Existe-t-il meilleure recette pour une belle soirée de lecture au coin du feu ?

[1] GERMAIN, François. L’art de commenter un texte. L’art et la littérature : inspirations, formes et genres, Les éditions Fourcher, Paris, 1959, 72 pages

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