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L’érable à pois ou réflexion sur les tics d’écriture, mon toc

Ce billet comporte deux parties, un premier volet théorique et un deuxième, pratique — une anecdote qui tient compte de la réflexion initiale.


Depuis que je me consacre à la rédaction, je suis confrontée à une difficulté qui me coûte une perte significative de cheveux : les tics d’écriture. Je désigne ici cette manie que j’ai de répéter certains mots ou d’utiliser des formules passe-partout par paresse intellectuelle, ce qui appauvrit le propos lorsqu’aucun effet de style n’est projeté, et pire, le trivialise.


Sans pudeur, je confesse les verbes dont j’abuse : faire, dire, voir, apercevoir, regarder, demander, entendre, mettre, permettre, prendre, laisser, donner, aller, tenir, venir, arriver, montrer, trouver, fournir, connaître, reconnaître, présenter, représenter. Et du côté des expressions : il y a, c’est, il faut que. Je dois aussi mentionner les adverbes qui se glissent, balourds et inutiles, tellement facilement (vous voyez ?).


Les relectures m’aident à en éliminer une quantité respectable. L’opération est stimulante parce qu’elle participe du mécanisme de l’inspiration, mais elle s’avère un châtiment redoutable pour la nonchalance de l’esprit quand on affronte un roman, un monstre de près de soixante à cent mille mots ! J’appelle à mon secours l’option « Rechercher » de mon traitement de texte, qui m’indique le nombre d’occurrences pour une même chaîne de caractères. Je supprime ensuite les récurrences dans une page, puis par groupe de trois pages pour assurer un vocabulaire plus riche. Ce procédé inclut l’usage de dictionnaires et de banques de synonymes en ligne, qui me suggèrent les termes susceptibles de me convenir. Une tâche de moine ! Antidote me soulage en partie de cette épreuve.


En plus de repérer mes fautes d’orthographe, ce logiciel plutôt génial m’assiste dans le dépistage des itérations rapprochées mais aussi de leurs formes dérivées, exemple logis et déloger. Grâce à cet outil (non, je n’ai pas d’actions dans la compagnie !), je circonscris mon examen à l’unité d’un ou deux paragraphes. Cette solution m’évite de m’engager dans l’investigation excessive à laquelle je sombre autrement. J’ai une tendance à la compulsion; Antidote est mon remède.


On a pas que ça à faire, n’est-ce pas ? Tic-tac, le temps passe, vite je chasse le toc.


La plupart du temps, je soigne de la même manière mes messages sur les réseaux sociaux, dans l’espoir qu’ils atteignent mieux leur cible et qu’ils percolent dans le bassin des lecteurs. Et vous, quels sont vos trucs ?


Le texte de l’anecdote qui suit a été épuré de ses maladresses. Je souhaite vous divertir un peu, alléger le confinement auquel nous devons tous nous astreindre pour sauver la vie de nos frères et sœurs humains.


L’érable à pois


Avec la pandémie, les corvées de nettoyage et de désinfection ont balayé mes habitudes. Le téléphone n’arrête pas de sonner, les amis attendent des réponses subito texto. De plus, mon conjoint et mon fils étant assignés à résidence, plus aucune routine ne tient.


Par désœuvrement ou pendant le lavage des mains, mon regard vagabond traverse la fenêtre de la cuisine en direction de l’érable de Norvège qui trône dans notre cour, un imposant représentant de son espèce âgé de presque soixante-dix ans. Le temps d’une chanson, les oiseaux qui le visitent créent une agréable distraction.


Près de l’arbre, s’élève au-dessus des toits un cèdre bien taillé dont les branches ont été attachées pour éviter que la neige toujours plus lourde de nos hivers perturbés n’endommage sa belle forme conique. Stupeur, son tronc dénudé lui dessine une pauvre silhouette décharnée, tel un pin tout droit sorti d’un tableau d’Emily Carr !


Depuis combien de temps est-il dans cet état ? Après quelques secondes, la bette dégourdie d’un écureuil gris point de l’arrière. Affairé, il descend de son perchoir situé à plusieurs mètres du sol jusqu’aux branches les plus basses, les coupe avec ses incisives et les remonte vers le nid qu’il élabore à la cime. Un vrai massacre ! Ne comptant ni un ni deux, mon compagnon se précipite au garage, se saisit du sécateur fixé à une perche télescopique, et se dépêche d’expulser l’intrus sans lui accorder le droit d’être entendu. Non content de débusquer le voyou, il détruit son logis, éparpillant sur la neige le beau ramage saccagé par le vandale.


Le lendemain matin, du fond de mes draps, je me réveille au son des jurons furieux de mon conjoint et du bruit sec de la porte qui claque. Prise deux : le bandit est retourné sur les lieux de son méfait et essaie de rebâtir son repaire. Cette fois, la bataille ne dure pas, le vilain déguerpit pour de bon.


Quelques jours plus tard, je découvre qu’il s’est réfugié dans un nid abandonné, un amas de feuilles parsemées de taches goudronnées, transportées dans la ramure de notre érable à la fin de l’été dernier. Je l’ai d’ailleurs baptisé « l’arbre à pois » en raison de la souillure de son feuillage, une tentative par l’humour d’atténuer la contrariété que j’éprouve à ne pouvoir contrôler la contamination. Soulagée par le plan B qu’il s’est choisi, j'épie le rongeur aux dents impitoyables tandis qu’il s’occupe à étayer son nouvel asile, par hasard situé à la hauteur de la fenêtre. Nous qui apprécions de moins en moins le farniente, sa présence est une aubaine. Elle égaie avec bonheur les heures lentes.


Une semaine passe. En rentrant de la promenade du chien, des cris de détresse remplissent l’air. Notre petit locataire râle, caquette, glapit, ses minuscules oreilles dressées sur son crâne, sa queue secouée de violents spasmes. Au pied de l’érable est couché un magnifique spécimen de la gent féline, la mine innocente et le corps faussement placide. Ayant réintégré la cuisine, je me poste à mon observatoire, un peu remuée par la tragédie qui se joue. Toutefois, le drame se dénoue de façon inattendue, sans victime : l’entrée en scène d’un deuxième chat attiré par la clameur de l’alerte a enclenché une poursuite salvatrice.


Voilà que la température s’adoucit, qu'aucun autre matou, pour une cause inconnue, ne s’aventure plus dans le jardin. J'en suis à lessiver à grande eau les légumes et les fruits rapportés du marché. J’en aurai pour un bon moment. L’écureuil n’est plus seul. Dans ses va-et-vient au nid, il est accompagné d’une femelle en gestation, une beauté deux fois grosse comme lui, la fourrure épaisse, le ventre blanc rond comme une balle, la queue traversée sur toute sa longueur d’une superbe raie rousse. Pendant qu’elle se nourrit au pied de l’arbre, il veille à sa sécurité. Il lui cède les graines les plus nutritives, les noix les plus savoureuses, et apaise sa propre faim d’un expédient moins goûteux, les bouts d’écorce qu’il grignote tout autour de sa position de guet. En soupirant, je me résigne à assister au déshabillage de l’enveloppe protectrice de la branche à laquelle il s’agrippe. Compassion pour les affamés oblige.


J’inspecte moi aussi les environs, prête à intervenir. La survenue récente du duo de prédateurs me renvoie à l’acte misérable que nous avons commis contre l’innocent mammifère. Quoi de plus idéal, a-t-il d’abord cru, que le sommet d’un cèdre au tronc dépouillé, filiforme et lisse, qui n’offre aucune chance aux cruels minets ? Rien, certain ! Le souvenir des vents exceptionnels de l’année précédente qui ont saccagé un gîte juché à quinze mètres des racines de surface éclaire d’un coup le comportement de l’animal. La construction d’un abri de fortune en basse altitude, assemblé en catastrophe avant l’hiver pour se défendre des humeurs du climat, était mal adaptée à la naissance d’une prochaine portée. Au retour du printemps, le petit architecte s’est vu pressé de migrer pour se prémunir contre l’ennemi invisible qui rôde dans les parages. Et nous, nous l’avons déporté manu militari, le forçant à réintégrer cette maisonnette peu sécuritaire, constituée de feuilles affligées d’un champignon qui les macule d’affreuses pastilles noires. Comme logement vicié par les moisissures, on ne peut guère concevoir mieux !


Je devine ce que les pourfendeurs d’écureuil, qui considère cette espèce citadine aussi nuisible que le rat de ville, peuvent en penser. J’en fais fi et je termine mon histoire.


En mars, le fond de l’air se réchauffe. Le feuillage de l’érable n’ombrage pas encore les quelques pieds carrés que je m’acharnerai tantôt à fleurir. En me rinçant les mains au lavabo de la cuisine, je remarque la femelle installée à la base de l’arbre, plus ronde que jamais, le dos au soleil et les paupières alourdies. Le mâle la surplombe, vaillante sentinelle. Tout en douceur, la belle succombe au sommeil, tranquille et confiante. En fin d’après-midi, ils rentrent ensemble au bercail. La délivrance ne saurait tarder.


Les actualités alarmantes réquisitionnent mon attention et j’oublie les tourtereaux quelque temps. Pourtant, je reste assidue au service de stérilisation des mains et des achats alimentaires. J’ai perdu un peu de longueur de vue, semble-t-il. Lorsque je reviens à de meilleures dispositions, je ne perçois plus aucun signe du jeune couple. Les petits sont probablement nés, ou... auraient-ils tous été massacrés ? Leur foyer niché à deux mètres du sol est facile d’accès. Un chat aura jugé commode d’y grimper et bénéficié de conditions favorables pour accomplir sa sale besogne. Toutes les stratégies de survie ont été anéanties par nous, ses irresponsables voisins.


Ni ennemis ni armés d’intentions malveillantes, mais soucieux en priorité de la valeur de notre bien, nous les avons exposés au danger.


Entre les vitres de ma double fenêtre, une mouche réveillée par la hausse des degrés Fahrenheit s’agite, prisonnière de cet espace clos où elle a dormi depuis l’automne. Je la libère. Toutes les vies se valent.


Mon chien réclame sa promenade rituelle. Sous la pluie battante, je marche dans mon quartier déserté. Des arcs-en-ciel dessinés à la craie par des enfants se diluent dans le ruissellement des trottoirs. Demain, le ciel se dégagera de ses larmes.

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