Ces dernières semaines, je suis plongée dans la lecture d’un livre volumineux dans lequel les dialogues occupent beaucoup de place. Parce que je m’y ennuie depuis quatre cents pages, que le malaise court de feuille en feuille, qu’il ne s’essouffle pas, je me suis questionnée sur les règles qui les sous-tendent. Comme on le préconise en cuisine, d’abord connaître ses bases. Dans ce billet, j’essaierai de couvrir les sept volets de l’analyse, soit : quoi, qui, où, quand, comment, combien, pourquoi.
1. QUOI
Le dialogue, soit l’expression d’une communication entre deux ou plusieurs interlocuteurs, s’inscrit dans divers contextes : une manœuvre de séduction, une querelle, une quête d’informations, une manifestation d’empathie, une explication, une discussion exposant des points de vue différents, une confidence relative à une émotion agréable ou désagréable, et bien plus encore.
Le narrateur simule les paroles telles qu’elles auraient été prononcées, ce qu’on appelle aussi le discours rapporté direct. Il révèle les pensées, joue avec les marques d’adhésion ou de distanciation (je suppose, tu te méfies, il approuve, vous vous targuez de, etc.), emprunte les quatre types de phrases, déclaratives, exclamatives, interrogatives, impératives. Elles constituent une sorte de preuve. Au besoin, elles servent à incriminer ou à discriminer un personnage.
2. QUI
La conversation réunit plusieurs protagonistes, généralement un ou plusieurs individus (humains, humanoïdes, intra ou extra-terrestres), parfois des bêtes (fables), plus rarement une personne et un représentant des règnes animal, végétal ou minéral. Se distingue du monologue le dialogue intérieur, par exemple lorsque deux positions antagonistes s’affrontent dans un débat intime.
3. OÙ
Le lieu du dialogue se situe à l’intérieur comme à l’extérieur du texte.
En ce qui a trait au contenu, l’entretien peut se dérouler dans un endroit unique, ou commencer quelque part pour se poursuivre dans un autre emplacement, et même plusieurs.
Pour ce qui est de la forme, un chapitre peut en être exempt alors que d’autres peuvent en comporter plusieurs. Ça peut dépendre, ou pas, de l’habileté de l’écrivain à traduire l’histoire en langage parlé ou de son penchant pour la narration. Si le talent ne se pointe pas au rendez-vous, il vaut la peine d’y consacrer des efforts pour les raisons que j’énonce dans le point suivant et au septième, dédié au pourquoi.
4. QUAND
Je renvoie ici aux six fonctions du langage selon le schéma de Roman Jakobson, linguiste influent, qui enseigne qu’elles correspondent au besoin de :
- confirmer l’état des choses (fonction référentielle ou représentative);
- préciser l’attitude (fonction expressive);
- obtenir une réaction ou un passage à l’acte (fonction conative);
- établir un contact, le prolonger ou le rompre (fonction phatique);
- fixer un code de communication — exemple, un professeur qui insisterait sur l’usage du « vous » — (fonction métacommunicative);
- signaler l’âge, l’instruction, le rang social ou l’appartenance régionale (fonction poétique). Le niveau de langue, le ton, l’ordre des mots, les assonances et les allitérations fournissent autant d’indicateurs précieux à l’interprétation des propos tenus.
5. COMMENT
Guillemets et tirets (cadratins) : pas de standard !
Certains éditeurs introduisent le dialogue par les deux points, accompagnés de guillemets pour encadrer la conversation.
Exemple 1 : Il a ouvert la porte : « Je pars. — Tu me quittes ! s’exclama-t-elle. »
D’autres placent la première phrase en la précédant des guillemets, et disposent les suivantes après un interligne.
Exemple 2 :
Il a ouvert la porte : « Je pars.
— Tu me quittes !
— Je reviendrai. »
Ces guillemets, on les apprécie surtout dans le cas de longues incises pour les différencier du dialogue.
Exemple 3 :
« Adieu ! lança-t-il en ouvrant la porte.
— Tu me quittes ! » paniqua-t-elle. Rien ne l’avait préparée à un départ si brusque. Elle reprit. « Je ne te retiens pas. »
Et d’autres encore plaquent là les répliques, se contentant des seuls tirets. Cette manière de procéder est de plus en plus utilisée.
Exemple 4 :
Il a ouvert la porte.
— Je pars.
— Tu me quittes !
— Je reviendrai.
Le tiret : au début de la ligne ou aligné avec les paragraphes ? Les deux se voient. Dans tous les cas, on intercale un espace entre le tiret et la tirade.
Il n’est peut-être pas vain de chercher à savoir quel éditeur préfère quelle ponctuation, quelle disposition, etc. Par contre, pour s’éviter cet exercice fastidieux, il suffit d’adopter une façon, celle qui nous agrée, et de la maintenir de la première à la dernière page quitte à ce qu’elle soit modifiée à la correction.
L’omission des guillemets peut s’avérer un piège dont le lecteur ne s’extirpe pas toujours avec facilité. Les interlocuteurs doivent alors être identifiés par intervalles sinon l’intérêt se perd, l’exaspération croît. La variété des appellations, en alternance avec les pronoms, soulage l’agacement : sœur ou frère, tante ou oncle, maîtresse ou amant, etc. L’insertion des prénoms convient tout aussi bien.
Exemple 5 :
— Tu me quittes, Robert ! s’exclama-t-elle, les larmes aux yeux. Je ne te retiens pas.
Quant aux guillemets si tant est que vous les chérissiez, on ne les ferme qu’au terme de la conversation.
Exemple 6 :
Il a ouvert la porte : « Je pars.
— Tu me quittes !
— Je reviendrai », assura-t-il.
Incise ou pas ?
Certains auteurs déconseillent l’incise parce qu’elle distrait du principal; ils recommandent un emploi judicieux, la parcimonie et la prudence.
Exemple 7 :
— Je pars, gronda-t-il en ouvrant la porte.
J’appartiens au clan de ceux et celles qui pourtant s’en repaissent, s’y vautrent même. L’incise donne corps aux voix. Cependant, je concède qu’elle doit-être utile, tout comme le dialogue lui-même d’ailleurs.
Exemple 8 (échange recelant un haut degré de futilité) :
— Comment ça va? demanda-t-il.
— Ça va bien, répondit-elle.
Le narrateur ingénieux en profitera pour inspirer un sentiment, émettre un commentaire ou une observation, clarifier le lieu, le caractère du personnage et le moment. Cette astuce grammaticale se glisse avec aisance au centre et à la fin.
Exemple 9 :
— Tu me quittes! s’exclama-t-elle. Je ne te retiens pas.
Et elle réprima un sanglot.
Du coup, elle permet de visualiser les protagonistes dans l’action, d’attirer l’attention sur le langage non verbal qui, à l’occasion, en dévoile davantage sur leur état d’esprit ou sur leurs intentions. Les verbes de mouvement peuvent également enrober le tout.
Exemple 10 :
Il se retourna vers elle.
— Je pars gronda-t-il en ouvrant la porte.
— Tu me quittes ! s’exclama-t-elle, les larmes aux yeux.
— Je reviens. Ne me retiens pas supplia-t-il, et il desserra le nœud de sa cravate.
— Je ne te crois pas, chuchota-t-elle en déboutonnant sa blouse.
Dialogue et propositions incidentes ne partagent pas nécessairement le même temps de verbe. Le discours lui-même s’écrit au présent tandis que l’incise voyage dans le passé, le présent et le futur, selon les circonstances.
Virgule ou pas ?
Facile : jamais de virgule avec les points d’exclamation et d’interrogation.
Exemple 11 :
— Tu me quittes ! s’exclama-t-elle.
— Tu me quittes ? l’interrogea-t-elle.
— Tu me quittes, constata-t-elle.
— Tu me quittes…, devina-t-elle.
Si la réplique prend une certaine ampleur compte tenu de l’importance qui doit lui être attribuée, il faut résister à la tentation de scinder le paragraphe en plusieurs alinéas. Plutôt raccourcir, s’efforcer à la concision. S’abstenir donc, et se souvenir qu’un plaidoyer n’y a pas plus droit !
Les verbes de parole : pourquoi s’en passer ?
Sans verbes de parole, vous vous trouvez au milieu d’une pièce de théâtre, d’un acte dépourvu d’indications scéniques; les ripostes tombent à plat, toutes nues.
Exemple 12 :
— Je pars.
— Tu me quittes ! Je ne te retiens pas.
— Je reviendrai.
— Je ne te crois pas.
De généreuses personnes en énumèrent des dizaines sur le web. Entre les verbes soupçonner, avouer, rétorquer, réclamer, bafouiller, rugir, toute une gamme de nuances oriente la perception du lecteur. Pourquoi se satisfaire de dire lorsqu’on peut susurrer ?
Enfin, les conseils quant aux dialogues pleuvent et se contredisent sur Internet. Je les note au passage :
- se restreindre versus les multiplier;
- opter pour un dialogue linéaire ou au contraire reproduire les conversations habituelles avec leurs digressions et leurs ruptures pour plus de dynamisme;
- octroyer plus de réparties au héros et à un personnage ému, moins aux figures secondaires et aux timides;
- peaufiner les enchaînements (interruptions, silences, renforcement de la réponse par la redite de mots précédents, reprise et développement d’un thème), ou laisser au lecteur la tâche de découvrir les liens par lui-même;
- bannir la langue parlée qui calque la vie. User d’un langage soigné, peu importe l’âge et le statut de la personne, exclure la vulgarité;
- marquer le changement de registre en réservant le langage familier au dialogue et le langage soutenu au récit;
- varier les répliques courtes et longues;
- etc.
6. COMBIEN
Certains auteurs parsèment les dialogues de façon à atteindre un équilibre avec la narration, ce qui m’amène à formuler une mise en garde. L’ennui guette tout autant la constance que l’irrégularité, la propension que la retenue. Tout est dans le style, lequel résulte d’une équation difficile et mystérieuse : talent plus travail égale bonheur du lecteur.
7. POURQUOI
À moins de rédiger un texte humoristique ou surréaliste où l’absurde règne, le dialogue souffrira de l’absence de but précis. Ainsi, il peut contribuer à la progression de l’histoire, défendre une thèse, expliquer l’évolution psychologique d’un personnage, provoquer des émotions (bien-être, chagrin, irritation), ralentir ou accélérer le rythme de la narration, approfondir ou alléger l’intrigue, essaimer des indices.
En fin de compte, ce tour d’horizon des règles du dialogue me sera salutaire dans la réécriture du roman que j’entame à peine. Plus de cinquante mille mots, ça fout le vertige. Cette pause m’équipe d’un parachute.
En tout dernier lieu, je mentionne à tout hasard les règles du scénario évoquées par un internaute :
1) opposer des valeurs morales (tolérance et fanatisme, loyauté et infidélité, etc.) pour accentuer les effets d’un conflit;
2) n’y recourir que pour divulguer un élément crucial ou décisif;
3) terminer par un échange ou une réplique coup de poing.
Cette convention cinématographique pousse plus loin ma réflexion. Voilà de quoi ajouter du punch à nos écrits !
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