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Qui es-tu, maître illusionniste ?

Photo du rédacteur: Michele LesageMichele Lesage

Le rendez-vous avec un personnage de roman constitue un « événement ». Il doit laisser une empreinte durable dans nos meilleurs souvenirs. Comment parvenir à inventer une entité digne de s’inscrire dans la pérennité ?


De façon spontanée me viennent à l’esprit des caractères dont je me suis éprise : Jean Valjean dans Les misérables, Cyrano de Bergerac, Scarlett O’hara dans Autant en emporte le vent, Hercule Poirot (Agatha Christie), Anna Karénine de Tolstoï, Don Quichotte et Sancho Panza imaginés par Miguel de Cervantes, et tant de héros et héroïnes ! Quel plaisir ai-je ressenti en découvrant les membres de la famille Malaussène de Daniel Pennac ! Benjamin, embauché comme bouc émissaire dans un grand magasin, sa sœur photographe de l’horreur, un frère terroriste et l’autre qui dessine des ogres, leur maman aux conjoints successifs, toujours enceinte, et leur chien épileptique m’ont ravie tout au long de la saga qui s’étend sur six tomes !


L’intérêt ne naît pas nécessairement d’un foisonnement de détails. En peinture, par exemple, la complexité (teintes, décors, accessoires, etc.) nous séduit autant que la simplicité d’un modèle dépouillé. Par ailleurs, gare au miroir aux mille facettes ou aux profils tracés à grands traits en raison du danger de commettre une perfection invraisemblable ou de tomber dans la caricature involontaire ! L’ennui attend au détour.


On vous dira que, pour l’essentiel, la fonction du personnage consiste à apporter des informations nécessaires à la compréhension de l’histoire. Il serait cependant grotesque et réducteur de prétendre que tous les romans se construisent autour d’un personnage principal. Au cours du processus d’écriture, les protagonistes émergent jouant les premiers rôles ou les rôles de soutien. Rien n’interdit que l’emploi d’abord assigné se modifie en fonction du récit. Un monde se développe à l’entour d’eux avec des forces contraires ou convergentes au moment d’une quête ou tout au long d’un destin à accomplir.


Sur leur parcours, on rencontrera :

- le défenseur

- le partenaire, l’assistant, le collaborateur

- l’adversaire

- l’intriguant

- l’influenceur (le conseiller spirituel ou l’avocat du diable)

- le témoin

- le bénéficiaire

- le parasite


L’efficacité du portrait dépend du cadre, c’est-à-dire, d’un moment précis de l’intrigue. Aussi, des scènes révélatrices seront exploitées pour cerner leur influence sur l’action, leur apparence, leurs motivations. Réussir un portrait résulte de l’habileté à :

- créer l’effet de curiosité;

- scénariser les aspects plus significatifs (portée sociale, morale ou psychologique) et les enseignements à intérioriser;

- utiliser des comparaisons, des métaphores, des antithèses et toute figure de style éloquente;

- adopter l’angle approprié : objectif (neutre, positif ou négatif), ou subjectif;

- démontrer que, comme dans la vie, les personnages assument ou non leurs contradictions;

- éviter le stéréotype (le cliché) empreint de préjugés, de biais discriminatoires et d’ethnocentrisme. Cette catégorisation, ce « prêt-à-penser » détestable qui efface les particularités au sein d’un groupe risque fort d’être jugé sévèrement;

- dépeindre des individus selon les critères esthétiques de l’époque évoquée;

- choisir entre les présentations statique ou dynamique, et alterner;

- offrir différents points de vue (narrateur omniscient, participant ou spectateur).


Quelques détails bien tournés suffisent le plus souvent. Les suggestions ci-dessous ne dressent pas une liste d’épicerie qu’on coche à mesure qu’on avance, mais un outil pour stimuler la créativité.


Caractéristiques primaires

· Archétype (le modèle, ex. un athlète)

· Prénom, nom, surnom, titre

· Âge

· Nationalité

· Taille et poids

· Couleur de la peau, des cheveux, des yeux

· Parties du corps

· Gestes, mimiques, tics, manies

· Registre de langue (lié à l’âge, un handicap, le rang social, etc.)

· Marques de naissance

· Scolarité

· Lieu de résidence

· Religion

· Emploi, métier, profession

· Type de vêtements

· Parures (chapeaux, bijoux, etc.)

· Signes distinctifs

· Situation familiale

Préférences

· Couleur

· Nourriture

· Fréquentations

· Loisirs

· Divertissements

Les faits connus

· Apparence générale

· État civil

· Milieu social

· Nombre d’enfants

· Animaux

· Secrets de famille

· Objectif dans la vie

· Biens d’importance

· Habitudes/routine

· Goûts

Description approfondie

· Première impression

· Le comment et le pourquoi de la perception des autres

· Moralité, éthique, idéologie

· Valeurs, collectives ou individuelles : morale, politique, philosophique, etc.

Exemples : Amitié, honnêteté, intégrité, équité, justice, liberté, loyauté, universalisme, adaptabilité, tolérance, autonomie, solidarité, sécurité, conformité, hédonisme, réussite, tradition, stimulation, pouvoir

· Que doit apprendre le personnage

· Comment glisser dès le début des indices quant au dénouement de l’intrigue

La psychologie

· Traumatismes et fragilités

· Sentiments relatifs à la situation

· Attitudes

· Peurs et phobies

· Vices

· Joies

· Regrets

Succès

· Qualités et talents

· Faiblesses

· Récompenses et prix

Ambitions

· Motivations

· Priorités

· Relations

· Obsessions

· Culpabilités

Trajectoire

· Leçons à apprendre

· Changements qui vont s’opérer


Les romans ne se composent pas à tout coup autour d’un personnage. Parfois, un pays, un cours d’eau, une ville campent l’élément central. Dans Seule Venise de Claudia Gallay, une femme explore ce haut lieu du tourisme dans la période la plus exécrable qui soit, l’hiver et, ce faisant, effectue un voyage intérieur qui la transformera. J’ai tout oublié de son apparence, mais j’ai adoré ce bouquin. L’atmosphère, les endroits visités, le manque de lumière, la vulnérabilité qui l’imprègnent m’ont beaucoup plu. Avec elle, j’ai fouillé des recoins ignorés des guides, un délice.


Quoi qu’il en soit, lorsque nous mitonnons un portrait, nous souhaitons établir une référence chez les lecteurs. L’image qui prendra corps est fascinante, car il existera ensuite autant de créatures conçues que d’exemplaires du livre vendus en librairie ! Et, pour couronner le tout, ces femmes et ces hommes tirés du néant possèdent le don de s’échapper de la plume, de tenir les commandes de leur vie. Lors du dernier atelier d’écriture, l’autrice invitée, Isabelle Grégoire[1], confirmait cette disposition, cet appétit, des êtres de papier pour l’indépendance. Eh bien oui, ils saisissent la main de l’écrivain et du lecteur et les mènent là où ils le veulent; ce sont eux, les maîtres de l’évasion de la réalité.

[1]Sault-au-Galant, Éditeur Québec Amérique, 2014, 218 pages et Fille de fer, Éditeur Québec Amérique, 2019, 240 pages

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1 Comment


denisroy
denisroy
Apr 02, 2021

Utile et inspirant! Merci Michèle!

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