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Le bruit

Depuis que les avions ont cessé de raser le toit de ma maison — dans un autre monde, vous pouviez (presque) me saluer de votre hublot en décrochant doucement du ciel vers l’aéroport —, on entend les outardes migrer vers l’est et les enfants jouer dans la rue. Le silence et les sons constituent un thème récurrent dans mon écriture, ancré dans les malheurs familiaux et dans le difficile affranchissement du passé. Après avoir vécu sur la pointe des pieds, j’ai raffolé du joyeux tintamarre de Montréal. Ces jours-ci, je m’acclimate.


En cours de rédaction de mon troisième roman, je suis tentée d’étudier les multiples recommandations glanées ici et là pour obtenir le résultat souhaité. En général, je résiste, car l’abondance d’information produit un bruit de fond inquiétant. Je crains d’étouffer ainsi le fragile élan de créativité qui souffle sur moi par intermittence et de pâtir de quelques écorchures sous la comparaison. De plus, certains avis se contredisent. Quelle voie suivre ?


Cette fois, j’ai abdiqué et j’ai réservé quelques heures à la matière que j’ai sous la main. Dans ce billet, j’en résume les grandes lignes, sans discriminer, dans l’espoir d’enraciner un savoir-faire et d’affermir nos plumes respectives. Profitons de la période des semis et plantons nos graines pour voir ! Cinq plans de travail : classes de maître, revue spécialisée, lecture conseillée, réseautage virtuel, autres références.


Classes de maître

En premier lieu, voici les notes consignées lors de deux séances tenues par les Correspondances d’Eastman (qu’on me pardonne ces paraphrases inexactes, le cas échéant !) Avec Dany Laferrière : écrivain, on le devient avant; devenir auteur au moment où on écrit, c’est écrire sous influence; écrire mal, mais c’est demeurer soi-même. Et encore : visez l’authenticité émotionnelle. Clin d’œil : le maître est celui qui apprend; on est la jeunesse éternelle quand on n’est pas dans la maîtrise. Avec Robert Lalonde : mettre de côté un roman pour le reprendre après quelques mois est une aventure périlleuse. Ne pas différer les occasions d’écrire; lui-même s’isole en coulisse pour s’y consacrer avant de monter sur les planches ! Quelle capacité de concentration, hein ? Inatteignable pour moi !


Périodique spécialisé

En deuxième lieu, je vous propose un condensé traduction libre du numéro Writing Basics, Printemps 2016, de la revue Writer’s Digest [traduction libre].

1. Dire ce qu’on veut dire (associer l’émotion au mot précis qui la représente).

  • Dresser une liste de termes pratiques.

  • Exploiter les cinq sens.

  • Montrer, non décrire. Anxiété : « Elle se grattait le front avec frénésie. »

  • Opter pour des verbes d’action. « Nous nous engageons à solutionner ce problème » s’avère moins efficace que « Réglons ce problème ».

  • Éviter adjectifs et adverbes. Reproduire la phrase sans y avoir recours pour en jauger l’effet.

  • Préférer les formulations simples. « Conclure » plutôt que « finaliser ».

  • Proscrire les sexismes, privilégier la neutralité. Exemple : « Si un associé se dévoue à l’entreprise, on le promeut actionnaire » et « Le dévouement rapporte ».

2. Intégrer une communauté. Si ça prend un village pour élever un enfant, ça prend également un village pour réconforter et soutenir un auteur. Bloguer, encourager les autres, correspondre, joindre un groupe.


3. Participer à des camps d’entraînement, recourir à un coach d’écriture ou à un mentor. Trois motifs freinent mon envie : le défaut de références fiables, le risque d’adopter un style d’écriture calqué ou en vogue, le retour à l’école (non merci, j’ai donné !) La perspective de m’abandonner à un coach dont le regard holistique aiderait à me décoincer ne me séduit pas beaucoup. J’ai épuisé mon goût pour les thérapies. En ce qui a trait au mentor, j’appréhende le danger de dépendance, ce qui m’apparaît malsain.


4. Se commettre. Dépasser le « j’aime écrire » pour « j’adore écrire », peu importe les doutes. Accepter que rien ne soit parfait. Céder toute la place à l’émotion. Être dans l’ici et maintenant. Écarter les invitations et les tâches quotidiennes. Stimuler le besoin jusqu’à l’obsession. Confiance et dévotion.


5. Écrire un début d’histoire chaque semaine.


6. Rester créatif. Explorer divers domaines : essayer un passe-temps original ou une technologie différente, plonger dans l’univers d’auteurs non familiers, varier les genres. Se concentrer sur l’expérience, pas le but. S’interdire de rédiger en hâte la partie la plus passionnante ou le punch de la dernière ligne, retarder les gratifications (par exemple, soumettre les premiers jets à sa famille). Se détacher de l’agitation déployée autour des réussites célébrées (vedettariat, prix remportés, etc.)


7. A à Z

A : Autocritique. Reconnaître ses névroses fortifie contre la critique.

B : Bougeotte. S’occuper afin de souffrir du manque de temps pour écrire.

C : Cultiver. Arracher les mauvaises herbes, éliminer le superflu.

D : Détails. Ajouter une texture. Ex.: un tricycle orphelin, des pissenlits entre les fentes du trottoir.

E : Épilogue. Avoir en tête le dénouement.

F : Flamme. Allumer sa curiosité par des apprentissages de toutes sortes.

G : Genre. Définir la catégorie qui sied à l’œuvre (Chronique, polar, etc.)

H : Habitude. Établir une routine.

I : Idéal. Cibler son public, ce que l’histoire lui apporte et en quoi elle le touche.

J : Journal. Tenir un journal pour se prouver qu’on survit toujours.

K : Kamikaze. La meilleure technique consiste à ne se servir d’aucune.

L : Lâcher prise. Laisser vos héros influencer l’enchaînement des événements.

M : Milieu. Y intensifier l’action jusqu’à l’extrême.

N : Narration. Susciter l’urgence de bondir sur la page suivante.

O : Ouverture. Démarrer en puissance.

P : Point central. Supprimer ce qui ne paraît pas essentiel à l’action principale.

Q : Quitter son projet, pas question. Ne pas lâcher.

R : Relecture. Intrinsèque au métier, elle contribue au succès.

S : Son. Lire à haute voix pour mieux évaluer le phrasé.

T : Ténèbres. Maintenir le lecteur dans l’ignorance. Plus il en sait, plus il sera déçu. Surprise !

U : Utilité. La vérité n’est pas capitale; l’intérêt réside dans la façon dont on l’emploie.

V : Vulnérabilité. Nos fragilités composent les caractères convaincants.

W : Watt. Choix des mots : l’éclair versus la mouche à feu.

XYZ : Ressembler, mais se démarquer.


8. Dix pièges : 1) Incapacité à circonscrire l’histoire dans une seule phrase (introduction, noyau et fin) 2) Grande idée, pauvre exécution 3) Action quelconque 4) Moralisateur 5) Rythme imposé sans nécessité 6) Visualisation malaisée 7) Prolixité 8) Ajouter une figure accrocheuse et l’oublier ensuite 9) Le protagoniste n’est pas l’histoire 10) Absence d’originalité; tout a été écrit, seule la manière compte.


9. Six étapes pour un personnage mémorable : 1) Une première impression forte 2) Amener le lecteur à s’identifier, qu’il soit attachant ou détestable, par sa lutte personnelle. 3) Ne pas tout révéler des sentiments et des pensées : le pouvoir d’évocation niche dans le non-dit. Exemple : Une femme soupçonne son mari de la tromper. Alors qu’il rentre du bureau à une heure tardive, elle demande : comment était ton dîner aujourd’hui ? 4) Désirs profonds : une promotion, une grossesse, un conjoint, une revanche, justice ? 5) Évolution : égocentrisme à générosité, insécurité à assurance, vengeance à compassion, etc., et arrêter le moment où tout bascule. 6) Définir des conflits et des épreuves.


10. Révision (méthode de l’oignon — opérer par couche).

  • La narration : le point de vue du narrateur.

  • Les personnages : à quoi aspirent-ils ? Jusqu’où iront-ils pour y parvenir ? Quels obstacles rencontreront-ils ? Quelle transformation subiront-ils ? Deux archétypes : l’individu ordinaire et l’être extraordinaire (l’élu). Le premier doit démontrer un potentiel inattendu, et le deuxième son talon d’Achille.

  • Lhistoire : 3+2=1; trois actes + 2 décisions = 1 intrigue (les décisions tombent à l’issue du premier et du deuxième acte). Erreur courante : s’atteler à ficeler l’intrigue et la structure, puis combler les espaces comme dans une peinture à numéros.

  • Les scènes : simplifier les dialogues et s’assurer de la pertinence. Par ailleurs, est-ce qu’on donne trop d’information ?

  • Le cosmétique : grammaire, ponctuation, orthographe, choix des mots.

Lecture recommandée

Avec résolution, je me suis farci un long article signalé par une amie : How to Edit Your Own Writing, par Harry Guinness, publié le 7 avril 2020 dans le New York Times. Les réflexions de l’auteur m’inspirent [traduction libre].

  • Comprendre que le premier jet n’est qu’une ébauche. Selon l’auteur, il est rare de prévoir ce qu’on va écrire. Après la première version, il faut abréger, condenser, et réviser les prémisses pour qu’elles collent à ce qui suit. Saisir l’opportunité de se soustraire à « l’esprit d’escalier ». Le secret : avoir eu le loisir de penser et de raffiner le texte jusqu’à lui conférer élégance et clarté. L’écriture fournit une chance précieuse d’avoir l’air davantage intelligent que le lecteur.

  • Attention aux maladresses communes : le vocabulaire hermétique, les clichés, la forme passive, tourner autour du pot (plusieurs phrases pour une idée mal définie). Rabouter, bricoler au lieu de s’efforcer à la concision.

  • S’accorder du recul : s’éloigner et revenir avec des yeux neufs. D’ordinaire, une demi-heure à deux jours suffit.

  • Couper : trop écrire est fréquent. En cas d’incertitude, couper. Chercher ce qui peut être retiré sans nuire au tout.

  • S’attarder sur le début : si vous n’attirez pas l’attention dès le départ, vous perdez un bon moyen de le retenir.

  • Attention à la structure : Un sujet, suivi de paragraphes de soutien et d’une conclusion, est la façon correcte de procéder. Une série de paragraphes interminables découragera le lecteur. Diviser en points concis. Pour les œuvres substantielles, réfléchir à ce que vous essayez de dire dans chaque chapitre ou section, et déterminer si cela fonctionne — ou si ce passage trouverait mieux sa place ailleurs. Il est normal (et même souhaitable) de remanier l’organisation entre les brouillons; c’est un signe que l’histoire se développe dans son ensemble, plutôt que de résoudre de petites difficultés.

  • Utiliser toutes les ressources à disposition.


Réseautage virtuel

Ambitieuse, je m’étais abonnée aux publications du site Web Pinterest qui offre de télécharger jusqu’à la nausée une tonne de formulaires pour bâtir des aventures, des anatomies, des dialogues, etc. Insensé !


Autres références

Je pourrais continuer sur des kilomètres de gigaoctets, car l’encre coule à flots sur ces questions. Je m’abstiens. Si le cœur vous en dit, consultez L’art d’écrire de Pierre Tisseyre, une base incontournable, et la sympathique page du blogue de Bernard Werber. (http://www.bernardwerber.com/unpeuplus/conseils_ecrivains.php)


Cette mise en condition intellectuelle complétée, j’avoue qu’on m’a aussi suggéré Écriture: mémoires d’un métier de Stephen King. Je le repousse aux calendes grecques, à regret. En m’absorbant dans tout ce matériel, j’ai tendu la corde de l’arc jusqu’à l’intolérable. Je n’ai qu’un rêve, relâcher la flèche pour qu’elle file sans s’arrêter et atteigne la cible (accoucher de cette histoire qui mijote depuis des lustres). Ah ! entendre le sifflement de sa trajectoire entre mes deux oreilles, l’unique vibration de l’air qui m’emporte et me réjouisse !


Note à moi-même : Début robuste, fin solide, archétypes, simplification. N’est-ce pas dommage de succomber à une recette éculée ? Et puis zut, les adjectifs, je les savoure, comme la sauce bien relevée qui accompagne le mets.


À plus !

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