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Effets de prisme

Depuis le début, Les fauteurs de mots réfléchit aux diverses avenues qu’il peut emprunter. Comme dans un prisme, l’écriture s’y introduit et s’y décline pour le moment sous trois aspects : blogue, autoédition, boutique. Il jongle maintenant avec le concept d’atelier d’écriture virtuel, un lieu abstrait qui permettrait aux participants de ce type d’exercice d’y publier leurs textes de façon bien concrète.


Pour avoir suivi sur place la programmation des Correspondances d’Eastman et fréquenté l’hiver dernier un atelier offert par la Bibliothèque du Plateau-Mont-Royal, je sais que le talent s’y exprime. De petits bijoux réalisés lors d’activités en bibliothèque ou dans le cadre de loisirs municipaux dorment dans les tiroirs.


Ce projet ne vise pas à concurrencer les auteurs et autrices établis qui fournissent ateliers et conseils. Il en existe plusieurs, réputés et compétents, qu’on trouve avec facilité sur Internet. Je n’oserais pas me mesurer à leur science et à leur expérience. Non, mon but est plus ludique.


D’une part, je voudrais annoncer chaque mois un sujet, planifier un événement chronométré acceptant la remise de textes et leur publication sur le site, le tout pour commentaires entre membres comme lors d’un atelier d’écriture. Pour tester cette idée, je me promets de lancer bientôt un bref sondage sur Facebook. D’autre part, je souhaite accueillir dans une page commune les auteurs et autrices amateurs inscrits aux ateliers en bibliothèque, ou même leur attribuer une page propre, chacun selon son désir. J’ai envoyé un courriel aux bibliothèques de Montréal afin de vérifier leur intérêt pour un éventuel partenariat.


Par ailleurs, j’envisage d’explorer dès l’automne les voies du marketing avec les outils proposés par ma plateforme en ligne ou par Facebook pour simuler un genre de rentrée littéraire dépourvue, on s’entend, de toute intention présomptueuse. Pour ce faire, je dois forcer ma réserve naturelle — un ange cornu me souffle « Pour qui te prends-tu ? » — et outrepasser une fragilité face à l’intimidation. Je crains d’affronter critiques gratuites et mépris, lesquels courent plus que jamais, entre autres choses sur les réseaux sociaux.


Parlant de mépris, je digresse ici dans l’allégresse, car ce curieux objet m’interpelle. Ça me rappelle la rue sur laquelle j’ai habité durant vingt-sept ans. Elle se divisait entre le haut et le bas de la rue Saint-Cyrille, ségréguant privilégiés et moins chanceux. Mes sœurs et moi, nos camarades et voisins, ont un jour ou l’autre goûté à la catégorisation locataire/propriétaire, ou au jugement porté du fait de demeurer sur la portion « défavorisée » du quartier.


En grandissant, j’ai compris qu’un clivage similaire fractionnait la Haute-Ville d’est en ouest, partageait tout autant la Haute et la Basse-Ville, opposait écoles privées et établissements publics, métiers, fonctionnaires et professions, Québec et Montréal, ma province et mon pays constitutionnel, les durs de souche et les inquiétants multi-identifiés, mais encore intra et outre-frontière, clans, classes, races, confessions et cultures.


Et au milieu de ces groupes au territoire délimité mais souvent mal balisé, nous jouons tous une partie de chaise musicale, parfois acteur, parfois victime. Un expert sociologue a-t-il étudié la fonction du mépris qui semble si intrinsèque aux communautés ? J’y puiserais un certain réconfort. En tout état de cause, contre l’adversité la collaboration m’apparaît une douce alliée.


Ce détour à propos de ce comportement si négatif explique le sentiment de gêne ressenti lorsque j’ai inauguré en janvier Les fauteurs de mots. Bien que je présageasse (ouf, le subjonctif !) que mon blogue reste anonyme dans le chaos d’Internet, j’appréhendais une notoriété imprévue. Pourquoi donc m’exposer à l’indifférence ou au sarcasme ? Comme je disais à un complice de ma présente aventure, je tenais mordicus à créer cet espace de diffusion, car un écrivain solitaire enfermé entre quatre murs, sans occasions de communiquer avec quelques lecteurs que ce soit, souffre de l’absence d’horizon. Par chance, la deuxième option, peu vraisemblable, ne s’est pas produite. Ça m’a donné le temps de m’acclimater et de me préparer à une vitrine plus jazzée.


La forme d’un prisme comporte plusieurs faces parallèles à une droite commune. Ainsi a été conçu mon blogue et j’ambitionne qu’il soit animé de plusieurs voix différentes, vibrantes et coopératives. Pour y parvenir, je franchirai le pas.


Cette figure du prisme colle aussi à mon roman dont la configuration se précise. Deux documents assoient mon point de départ : un journal tenu il y a quarante ans et un livre écrit par un ami qui raconte la longue agonie de son frère à la même époque. Le journal rapporte les anecdotes que j’ai recueillies alors qu’étudiante en droit, j’avais décroché un emploi au service de police de la Ville de Québec. Quant au livre, il constitue la chronique poignante d’un amour fraternel et du cheminement intérieur de jeunes hommes coincés dans la tempête épidémique du sida.


Comment ces deux histoires se combinent-elles ? L’axe auquel elles s’attachent est incarné par une avocate à la retraite qui, répondant au vœu d’une ancienne connaissance, reprend un dossier classé, une affaire dont les tenants et aboutissants s’enchâssent dans les années 80. À partir de cette ligne droite, de multiples éléments s’élancent dans un inconnu que je définis au fur et à mesure des chapitres. En raison de l’incontournable effet de prisme, je n’ai pu résister à insérer l’actuelle pandémie et ses conséquences dans la vie des personnages.


Premier jet oblige, je n’entrevois pas le bout de mes peines. J’en ai rédigé environ la moitié. Lorsque j’aurai terminé de disposer mes cartes, le procédé de réécriture redistribuera plusieurs fois le jeu et, au bout du compte, que sera sera. J’espère que le sort me sourira puisque j’aimerais en faire le premier d’une série qui aborderait divers enjeux de société au travers les dossiers menés par cette juriste vieillissante.


Devant un avenir vierge, je pénètre blanche d’inspiration comme dans un prisme. Par un phénomène de réfraction dont mon imagination seule détient le secret, ma pensée se décompose et se recompose au fil des mots, selon l’angle choisi. C’est l’été, les vacances, j’ai rangé la théorie dans un coin. Insouciante, je laisse ma plume et mes rêves voleter sous le soleil.

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