La souffrance, la résilience, la joie, le sentiment amoureux s’ancrent dans l’expérience humaine. Mais chaque histoire s’élabore autour des circonstances qui les font naître, selon la personnalité du conteur et sa capacité à la transmettre. Dans l’aptitude naturelle à raconter réside une grande injustice, car beaucoup doivent construire la narration en s’y attelant comme des bœufs de labour dans un champ en friche. Une instruction solide et l’écriture quotidienne produisent parfois des œuvres formidables. Pour bien des malheureux néanmoins, la recette d’un récit captivant demeurera inaccessible.
Tous les oiseaux ne jouissent pas d’un chant harmonieux. Question de style. À chaque plume, son encre et sa couleur, d’où une variété d’épithètes pour qualifier un ouvrage littéraire : pompeux, original, facétieux, généreux, gai, poétique, pour ne mentionner que ceux-là. L’individualité, l’ipséité, module les êtres humains : vous n’êtes pas un autre, et ça se sent comme le parfum de la peau qui particularise chacun de nous. De cette spécificité qui s’enrichit ou s’appauvrit au gré d’influences multiples (héréditaires, familiales, sociologiques, culturelles, etc.) dépendra qu’on aime ou qu’on n’aime pas un livre, un recueil, même un traité scientifique.
Je commence une biographie dont le style ancien des premières pages m’a rebuté, assez pour hésiter à surmonter mon inconfort. Compte tenu de mon âge, j’appréhende d’y reconnaître mes propres travers semés, engraissés et tuteurés tout au long d’une éducation qui date d’un autre temps. (Je pense à cette main d’écriture semblable chez toutes les femmes de quatre-vingt-dix ans et plus. Un graphologue ne décèlerait jamais la différence entre la main d’écriture de ma belle-mère sur ses cahiers de musique et celle de ma mère dans sa correspondance.) La quantité imposante de renseignements sur Anne Hébert et ma curiosité ont sauvé le bouquin.
Parmi toutes les clefs dont il faut jouer pour susciter l’intérêt, plusieurs nous étaient, et sont encore, enseignées à l’école. Par exemple, les figures de style. Grâce aux exercices prescrits à dessein, nous étions censés les assimiler. Mais moi, rêveuse et de ce fait la plupart du temps inattentive, je n’ai fixé en mémoire que peu de chose. Si je m’y applique, je parviens à en ressusciter quelques-unes. Toutefois, certaines pâtissent de noms si alambiqués qu’elles n’ont aucune chance de s’inscrire dans ma matière grise.
J’ai pourtant révisé les figures de style trois fois plutôt qu’une en revisitant les cours de français pour soutenir mes fils dans leur parcours scolaire. Malgré toute ma bonne volonté, j’ai dû passer pour une inculte auprès de ma progéniture. Pour ne rien vous cacher, ces devoirs qui requéraient de les identifier dans un texte donné m’horripilaient. Je m’égarais dans les définitions, tergiversais, défendais un choix fautif dans la mauvaise humeur la plus complète. Comme j’aurai fait honte à mes professeurs d’antan !
En pleine rédaction de roman, j’ai réfléchi qu’une ultime tentative de me les approprier ne pourrait pas me nuire. J’ai consulté le site d’Alloprof qui ne refuse pas les retraitées. Une page fournit la liste suivante : analogie, insistance, amplification, opposition, atténuation ou omission, substitution, allitération ou assonance, anagramme. Ouf, grosse bouchée pour mon petit appétit !
Depuis toujours, le recours aux analogies favorise ma compréhension de l’abstrait. Je bénissais les professeurs qui usaient de métaphores et de comparaisons. Pas besoin d’un doctorat pour les manier en expert, comme cette voisine qui, armée d’un balai et d’un porte-poussière, répondait à la porte aux Témoins de Jéhovah : « Le paradis et l’enfer, j’les connais. Là, maintenant, j’suis au purgatoire. » Parmi les analogies se classe l’allégorie. Jean de Lafontaine y excellait et je dois à ma mère plusieurs relectures de ses fables dans un livre aux splendides illustrations. Malgré tout, j’éprouve de la difficulté à la différencier de la métaphore, si ce n’est que, chargée de sous-entendus, elle exige de lire entre les lignes.
La personnification nourrit par ailleurs mon inclination pour la poésie. L’horloge qui épelle son tic-tac obsessif, les tempêtes qui font chanter à tue-tête pinèdes et forêts d’épinette, ça me plaît !
En creusant le sujet des allégories, je découvre la métaphore filée. Si je réfère à l’image de l’intrus qui entre dans une cour, qui piétine les fleurs et arrache les tuteurs sous les yeux d’un couple de jardiniers impuissants pour décrire l’emprise néfaste d’amis douteux et les tours odieux du destin qui jettent à terre les efforts des parents, je me sers d’une métaphore filée. Pourquoi toutes ces distinctions qui ne riment qu’à traduire trois ou quatre idées, sinon pour soustraire des points aux ânes ou aux étudiants peu studieux ? Je vous épargne la catachrèse, un autre genre de métaphore…
D’ailleurs, je n’obtiens pas la note de passage en ce qui a trait aux figures d’insistance. Mon vocabulaire se limite aux deux premiers. Ainsi, la répétition, procédé familier, procure au texte un rythme ou lui imprime des effets variés, souvent dramatiques ou comiques. Ça demande un certain talent, car on risque d’ennuyer au lieu de créer le résultat escompté. Suit de très près la redondance qui traîne avec elle une aura de médiocrité. À éviter, les séries de synonymes qui s’apparentent à du blabla. Le pléonasme et l’anaphore n’ont laissé aucune trace dans mon souvenir. De toute façon le premier ne bénéficie pas d’une belle réputation puisqu’il équivaut à parler pour ne rien dire. « Dans mon livre à moi » en est un, exécrable entre tous. Le deuxième constitue pour moi un mystère. Allons voir. Je lis « répétition placée au début des phrases ou des paragraphes ». Rien de plus ? À mon avis (d’autres écriraient « dans mon livre à moi »), les rhétoriciens ont péché par excès de technique et de goût pour le langage hermétique.
L’amplification a le mérite d’un nom évocateur. Je songe aux humoristes, des champions dans ce domaine. Peu importe l’anecdote, le rire jaillit quand les éléments extravagants s’enchaînent et se multiplient. Comme méthode d’amplification, l’accumulation ne représente un secret pour personne, même pour moi. « Adieu, veau, vache, cochon, couvée », s’écrie Perrette dans La laitière au pot au lait. La gradation, elle, marque l’évolution d’une situation : je sue, j’étouffe, je meurs. Pour terminer, l’hyperbole. Je n’ai pas étudié le grec, mais « hyper » comme dans « hyper cool » fait du sens comme on dit. L’hypertrophie guette les pêcheurs et les menteurs, sans oublier les mégalomanes, et les humoristes.
Les figures d’opposition ne me sont pas inconnues, ayant eu trois ados à la maison. D’abord l’antithèse. Facile : dès qu’on se positionne comme anti quelque chose, on s’y met les deux pieds dedans. En revanche, le mot oxymore provoque chez moi l’envie de prendre la poudre d’escampette. Comme le veut l’adage populaire, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Ce mot qui me terrorise joint deux notions opposées. Exemple, une joie triste. Le paradoxe m’évoque une pratique courante de nos gouvernements. Quand la population est appelée à se serrer la ceinture pour atteindre un objectif, les fonctionnaires se votent des augmentations. À l’occasion, les politiciens s’offrent aussi l’antiphrase. N’est-ce pas ce que le Premier ministre utilise lorsqu’il déclare que les Québécois l’impressionnent quant au respect des directives de confinement ? Entre les habitants du quartier qui se vantent de chercher à être infectés pour en finir au plus vite et l’agressivité des consommateurs qui ignorent les flèches disposées au plancher pour encourager la distanciation dans les commerces, je flaire la stratégie, sinon l’ironie. Combien d’entre nous mériteront les félicitations qui auront précédé le comportement espéré ?
Je n’ai pas abordé le chiasme. Quel mot ! Me semble qu’on aurait pu trouver mieux, non ? Je vous assure qu’on ne me l’a pas enseigné celui-là. Le chiasme nécessite la symétrie. Courir dans la vie, c’est courir vers la mort. Ce foutu virus me rend philosophe. Qui peut jurer que cette folie d’avant la pandémie qui nous poussait à nous précipiter vers des chimères ne s’emparera pas de nous de nouveau, aussitôt la peur effacée par la reprise économique ?
Les figures d’atténuation ou d’omission. Quand j’entends un chroniqueur s’exclamer sur les ondes « C’est un euphémisme ! », je vous certifie que je l’ai manqué. Pour une raison obscure, cet assemblage de voyelles et de consonnes engendre un blocage inconscient. Élémentaire, sa fonction vise à dire autrement, en atténuant le sens. Exemple, « il n’est plus tout jeune » pour désigner un centenaire. Comme le jour de la marmotte, demain je me désolerai de rater le prochain. Quant à l’ellipse, ou le sous-entendu, elle ne peut que m’embrouiller. Je la mêle avec l’allégorie ou l’antiphrase, un pas de travers que j’accomplis comme l’aveugle en plein spectacle sons et lumières.
Et la dernière, la litote. Oh my god, qu’est-ce que c’est que ça ? Je confonds avec l’euphémisme, quel marasme ! Un retour à la définition s’impose : plutôt que d’affirmer un fait, en nier le contraire. Hein ? Ah oui, ma mère la maîtrisait. « C’est pas laid » signifiait que ça lui déplaisait, mais qu’elle ne l’avouerait sous aucun prétexte.
Les figures de substitution. La périphrase me paraît la plus dangereuse, car elle tue la concision. Un roman qui aurait pu tenir dans une centaine de pages frisera la brique de sept cents pages, faute de l’alléger de sa verbosité. La métonymie a fui ma mémoire. Sur Internet, l’exemple amplement commenté des parents qui ordonnent à leurs enfants « Finis ton assiette » me réjouit. Je suis de celle qui a commis cette métonymie spontanée et, bien sûr, il ne s’agit pas de consommer l’assiette elle-même… La synecdoque, mot déconcertant (pas étonnant que mes neurones s’interdisent de l’enregistrer !), indique la partie pour le tout, ou l’inverse.
L’allitération et l’assonance réfèrent aux sons. Si je n’ai pas retenu la notion d’allitération, je peux par contre déclamer par cœur « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ». Et je ne compte pas parmi les fans de Racine ! L’assonance, ou la répétition des sons, ne s’installera jamais à demeure dans ma cervelle. Allez savoir pourquoi, je la mélange avec la dissonance…
Enfin, il y a l’anagramme que je fréquente au jeu de Scrabble. Quand j’entrevois la possibilité de composer deux ou trois mots de sept lettres avec celles que j’ai tirées au hasard, c’est la bonne journée pour acheter un billet de loterie. Dans le contexte de l’écriture, je ne saisis pas ce qu’il peut m’apporter.
Les aléas de la recherche m’ayant conduite vers une autre adresse Web, je déniche l’antonomase, la paronomase, l’anacoluthe et l’asyndète. Je crie pitié !
Je sors du labyrinthe et je fantasme quant à une figure de style passe-partout, conquise hors des sentiers battus. Ah ! imaginer un concept joli et significatif qui embellirait la conversation et les journaux intimes, qui se placerait volontiers dans le dictionnaire et dans un cours du secondaire ou du cégep, un terme inventé mais crédible qui accorderait des points bonus et qui égaierait le moment ! La nature n’accouche-t-elle pas de nouvelles espèces et les artistes de tendances innovantes ? On peut rêver !
Tandis que je peaufine ce texte, des manifestations contre toute forme de racisme dégénèrent. L'affreuse fin de monsieur George Floyd exacerbe des tensions déjà vives. Phébus et Borée tombe à propos. Dans cette fable qui me guide depuis l’enfance, le soleil et le vent se défient. Lequel réussira à dégarnir le voyageur de son manteau ?
« […] le Vent perdit son temps :
Plus il se tourmentait, plus l’autre tenait ferme;
Il eut beau faire agir le collet et les plis.
Sitôt qu’il fut au bout du terme
Qu’à la gageure on avait mis,
Le Soleil dissipe la nue,
Recrée, et puis pénètre enfin le Cavalier,
Sous son balandras fait qu’il sue,
Le contraint de s’en dépouiller.
Encor n’usa-t-il pas de toute sa puissance.
Plus fait douceur que violence. »
J’ajoute : écoutez Fabrice Luchini vous réciter les Fables de Lafontaine. Il possède l’art d’incarner le style !
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